Découvrez les extraits de livres lesbiens à venir : Royale Attraction et Yule !
La semaine dernière, notre article vous annonçait la sortie de deux nouveaux romans lesbiens : Royale Attraction et Yule. Cette semaine, place aux extraits de ces deux histoires très différentes et toutes les deux magnifiques ! Et oui, le grand jour est arrivé !
Vous allez pouvoir vous régaler avec une bonne dose de lecture. Parce que cette fois-ci, ce ne sera pas un seul morceau d’histoire. Non, cette semaine, c’est deux pour le prix d’un !
Retour sur les résumés ?
Avant de vous proposer les extraits, reprécisons un peu les choses. D’un côté, il y a une romance entre une princesse moderne et une roturière mère célibataire, de l’autre une romance fantastique entre une sorcière possédant le pouvoir de la cuisine et une passionnée de livres lumineuse et fana de Noël. Que du bon !
Du coup, petit rappel des résumés.
Royale Attraction de Lola Keeley disponible le 1er décembre
En acceptant d’inaugurer un nouveau bâtiment dans une école de Londres, Son Altesse Royale la princesse Alice est loin de se douter de ce qui l’attend : une enfant en pleurs et une mère surprotectrice aux idées bien arrêtées. Quoi de mieux pour déclencher une vidéo virale sur les réseaux sociaux qu’une joute verbale entre une membre de la couronne britannique et Sara Marteau, une éducatrice spécialisée anti-monarchie ? Habituée à faire la une des journaux depuis son coming out très médiatisé, Alice choisit d’apaiser les tensions et invite la famille Marteau à la garden party du palais.
À la suite d’une discussion avec son frère, l’héritier du trône, la princesse n’a d’autre choix que de demander l’aide de Sara pour diagnostiquer les difficultés d’apprentissage de son neveu. Mais la situation se complique rapidement. Des rumeurs commencent à circuler sur la présence de l’éducatrice au sein de la famille royale. Prête à tout pour préserver l’innocence et la vie privée du jeune garçon, Alice accepte de se mettre sous le feu des projecteurs.
Et si la seule solution pour protéger les apparences était de faire croire aux paparazzis que Son Altesse Royale la princesse Alice et Sara Marteau avaient une liaison ?
Yule d’A.M.Brawne disponible le 6 décembre
Si Lizzie Carter entend encore une fois Jingle Bells, elle risque de massacrer quelqu’un. Alors qu’elle travaille dans une chaîne de café depuis… beaucoup trop longtemps à son goût, elle exècre les fêtes de fin d’année. Sorcière issue d’un clan millénaire, la jeune femme rêve d’ouvrir son propre établissement, mais a peur de sauter le pas, doutant de ses capacités.
Un jour, Lizzie est contrainte d’utiliser ses pouvoirs pour sauver la vie de Victoria, l’une de ses clientes. L’humaine n’en croit pas ses yeux. Une seule solution s’impose alors pour effacer la mémoire de Vi : la potion d’oubli. Malheureusement, un problème de taille persiste. L’unique moyen de se procurer l’élixir tant convoité est de se rendre à Cambridge, au sein du clan que la sorcière a préféré quitter il y a des années.
À l’approche de Yule, fête du solstice d’hiver, Lizzie est donc contrainte de retrouver sa famille. Mais comment expliquer la présence de la pétillante et lumineuse Vi à ses côtés ?
Et voici les fameux extraits de livres lesbiens que vous attendez avec impatience
Nous arrêtons de palabrer inutilement. Oui, j’ai toujours rêvé de coller un mot aussi désuet que « palabrer » dans un article du lundi. Excusez-moi pour cette ultime intervention. Nous allons commencer par Royale Attraction puis Yule. Allez, c’est parti ! Suivez-nous, c’est juste en dessous.
Extrait de Royale Attraction de Lola Keeley qui sortira le 1er décembre
— Nom d’un chien, regarde-toi : tu es habillée en fille ! lança James en gratifiant sa sœur d’une bourrade espiègle.
Le jeune homme mesurait cinq centimètres de plus qu’Alice et avait hérité du dos et des épaules de son père – atouts grâce auxquels ce dernier avait réussi sa carrière de rugbyman professionnel. Sans même reculer d’un pouce, Alice rendit à son frère la monnaie de sa pièce.
— T-t-t ! intervint la reine, assise devant son secrétaire, en foudroyant ses enfants du regard.
— J’en ai autant à ton service : j’ai vu des photos de toi en kilt, contre-attaqua Alice. Tu n’avais pas compris que tu étais à Cardiff et pas à Glasgow ?
— Dit la fille jalouse parce que j’ai obtenu la plus grosse part d’héritage, riposta son frère aîné. Prête pour notre petite sauterie barbante à souhait ?
— Je présume que tu veux parler de la garden party, espèce de sale curieux ? Ce que certaines personnes baptisent « le meilleur moment de l’année » ?
— Ne joue pas les hypocrites, Salice.
— Ne m’appelle pas comme ça. Pas aujourd’hui : on pourrait t’entendre.
Malheureusement, cet argument ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Erreur de débutante, réalisa Alice.
— Les gens entendent toujours tout ce qu’on dit, souligna James. Donc ? Tu as une invitée spéciale aujourd’hui ? Je croyais que tu avais renoncé à la viande avariée.
Alice lui décocha un coup de poing dans la clavicule, sans réussir à imprimer un seul pli sur sa chemise bleu pâle.
— Rien à voir. J’ai eu un petit souci de relations publiques, alors il a fallu que je fasse preuve de gentillesse avec une enseignante et sa fille.
— Ah oui, c’est vrai ! Cette bonne vieille Salice fait pleurer les enfants ! Annabel m’a montré la vidéo. Nous avons bien ri.
Pour toute réponse, Alice leva les yeux au ciel. James et elle avaient vécu tellement pire en termes d’interactions sociales.
— À partir de maintenant, Annabel et toi vous occuperez des visites scolaires, décréta la jeune femme. Ça vous aidera peut-être à décider dans quel établissement vous allez inscrire vos jumeaux l’an prochain. Il serait grand temps de vous secouer. Ils rentrent à l’école primaire, non ?
Alice ne s’attendait pas à ce que James réagisse : il était plus doué qu’elle pour ne rien laisser transparaître. Cependant, le jeune homme n’était pas tranquille ; cela se voyait à la manière dont il se dandinait d’un pied sur l’autre.
— On songe à engager une gouvernante, annonça-t-il, brisant le silence instauré par Alice. Ce sera certainement mieux que d’enfermer nos gosses dans un vieux donjon plein de courants d’air bourré de comtes en couches-culottes et d’enfants de barons toxicos, tu ne crois pas ?
— Une gouvernante ? hoqueta Alice. Tu ne vas pas les envoyer à l’école ? Il me semble me rappeler que la nôtre était totalement « normale ». On peignait avec les doigts et tout. Enfin… jusqu’à ce que tu t’en ailles à Eton et que tu me laisses en plan.
James lui lança un regard exprimant : « Attention à ce que tu dis », puis il passa une main dans ses cheveux. Depuis peu, il avait opté pour une coupe courte afin de masquer sa calvitie naissante.
— « Normale », gronda-t-il. C’est bien ça, le problème. Tout le monde est obsédé par ce foutu mot, dans ce pays, mais personne ne sait vraiment ce qu’il signifie. Je n’ai jamais compris ça.
— Jamie…
— Ne m’appelle pas comme ça.
— Un prêté pour un rendu, tu n’avais qu’à pas m’appeler « Salice ». Et maintenant, raconte-moi ce qui te tracasse.
James jeta un regard par-dessus son épaule avant de se lancer :
— Il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Mon fils a un léger retard mental, ou quelque chose dans le genre. Des tas d’écoles nous ont proposé de le prendre en charge, néanmoins elles veulent juste qu’un héritier de la Couronne soit inscrit chez elles. Remarque, seul Rupert est concerné. Annie est… En fait, c’est un véritable prodige, le Ciel soit loué. Une chance, puisque c’est l’aînée. Mais ce contraste empire la situation. Rupes a vraiment des difficultés. Au début, on pensait que c’était un enfant têtu, rien de plus ; malheureusement, le médecin nous a fait comprendre qu’il y avait plus.
— J’avais remarqué que quelque chose clochait, confessa Alice. Je sais qu’il pique parfois des colères, quand il est à table. Sans parler de ce Noël où il s’est mis à hurler et où vous avez essayé de le calmer, Annabel et toi. D’accord, comparé à Annie, il n’est pas très bavard. Mais est-ce réellement un facteur pathologique ? Et s’il était juste différent en termes de personnalité ?
La jeune femme se doutait qu’elle minimisait le problème, cependant être rangé dans des cases laissait des traces – elle en savait quelque chose. Elle n’avait aucune envie de voir un membre de la future génération se faire taper sur les doigts. Pas avant d’avoir sérieusement réfléchi à la question.
— Navré de te l’annoncer, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, répliqua James. Tu as conscience que nous avons reçu tout le soutien possible. L’ennui, c’est que les nounous s’en vont toutes les unes après les autres. Apparemment, les épisodes de ce type, les « crises », comme les appelle Annabel, se déclenchent très facilement. Un plat non désiré, des vêtements mal choisis, une activité interrompue pour en commencer une autre… C’est comme si on ne pouvait rien lui faire faire correctement. On a harcelé le médecin de questions et j’ai l’impression qu’il refuse de nous donner ses conclusions.
— Les praticiens de la Firm[1] manquent clairement d’expérience, nuança Alice. Vous ne pourriez pas vous adresser à des spécialistes ? À des gens qui maîtrisent le sujet ?
James grimaça, comme chaque fois que sa sœur passait en mode « sauveuse ». La jeune femme avait beau tenter de s’en empêcher, elle avait toujours joué ce rôle. Si elle avait pu résoudre le problème elle-même, elle s’en serait chargée en un claquement de doigts. Malheureusement, la situation ne semblait pas de son ressort.
— Rupert n’est pas une nouvelle compétence que l’on peut maîtriser ni une conversation en italien que l’on peut améliorer, martela James. À mon avis, ce n’est pas d’une aide médicale, dont nous avons besoin. D’après les ouvrages que j’ai lus, la clé réside dans l’éducation et l’insertion dans la société. Ce qu’il nous faut, c’est un enseignant qui fasse fi des conventions. Une personne en mesure d’écouter ses nécessités. Parce que si Rupert n’a rien de grave, je n’ai pas envie que des rumeurs lui collent à la peau toute sa vie. Rien qu’à l’idée de ce que les tabloïds pourraient écrire dans leurs feuilles de chou en se moquant de lui… Non. C’est insupportable. Je n’ose même pas l’imaginer.
Alice serra rapidement son frère contre elle, avec un seul bras, ainsi qu’elle avait coutume de le faire depuis que James et elle avaient atteint l’âge adulte. Le jeune homme ne résista pas, signe qu’il était réellement tendu.
— Et si je t’offrais un coup de main ? suggéra Alice. Si j’en discutais autour de moi, aux donateurs des œuvres caritatives ? Ou si Josephine nous trouvait l’expert idéal ? Personne ne tirerait de conclusions hâtives, si ? En fait, je viens de rencontrer une experte en la matière. Du moins, il semblerait qu’elle le soit.
— Attends, tu parles de cette institutrice qui t’a hurlé dessus ? Celle qui ne « croit pas » en la royauté ? Ça m’étonnerait beaucoup qu’elle veuille aider ceux de notre espèce.
— Elle n’est pas enseignante, plutôt éducatrice spécialisée, corrigea Alice. Elle s’occupe des enfants en difficulté. Tu peux vérifier, si tu es inquiet. Hormis son côté « venez tous préparer la révolution et planter les têtes des reines au bout d’une pique », elle m’a l’air du genre sérieux.
Alice savait qu’elle exagérait, son attitude la fit sourire.
— C’est une simple suggestion, reprit-elle. Apparemment, tu es pieds et poings liés. Je veux juste te donner un coup de main. Et si elle ne s’occupe pas elle-même de ton cas, peut-être trouvera-t-elle quelqu’un susceptible de le faire.
James s’écarta de sa sœur et se passa une main massive sur le visage. Alice éprouva un pincement au cœur. Il ressemblait tellement à leur père lorsqu’il faisait ce geste !
— J’ai le sentiment que quoi que l’on fasse, on mettra le feu aux poudres et ça retombera sur ce pauvre Rupert, s’épancha James. Il n’a peut-être aucune pathologie, il ne mérite pas qu’un pays tout entier se perde en conjectures sur ses capacités d’apprentissage.
— C’est clair, approuva Alice. Cette histoire restera strictement confidentielle. Que l’on fasse appel à Sara Marteau ou à une autre personne, seuls les gens dignes de confiance seront au courant. On trouvera une solution. Je vais mettre Josephine sur le coup avant de décider quoi que ce soit.
— Tu es quelqu’un de bien, conclut le prince. Bon. Parée à affronter la crasseuse populace ? J’espère que tu as un flacon de gel hydroalcoolique dans ta poche.
— Jamie !
— Je plaisante !
Le frère et la sœur s’installèrent dans leurs files respectives afin de recevoir leurs invités triés sur le volet. Lorsque Josephine se plaça à ses côtés, Alice se pencha vers elle et lui résuma à mi-voix la teneur de la conversation qu’elle venait d’avoir avec James.
— Je vais voir ce que je peux faire, Madame. Vous a-t-on fait parvenir mes notes sur vos hôtes ?
— Oui, je vous remercie. Vous me sauvez la vie, comme d’habitude, Jos.
L’espace d’un instant, Alice tritura l’alliance de son père qu’elle portait à la main gauche, puis elle descendit dans l’arène.
Elle aperçut sa mère, toujours aussi radieuse, se détacher d’un petit groupe de courtisans et commencer à accueillir les premiers convives, beaucoup plus nombreux à présent. À chaque rassemblement familial, elle était le principal pôle d’attraction.
Alice évolua d’un invité à l’autre de son pas élastique coutumier. Elle avait appris qu’en effectuant des gestes lents, les gens ne voyaient pas d’objection à ce qu’elle ne reste pas longtemps en leur compagnie. Aborder l’après-midi avec un tel professionnalisme pouvait paraître un peu grossier, mais pour Alice, cette garden party n’était qu’un événement important parmi tant d’autres. Tout le monde voulait sa part du gâteau ; elle leur donnerait donc entière satisfaction.
La file d’invités ressemblait à toutes les précédentes : des personnes âgées, des enfants bien élevés, un mélange d’ethnies et de couleurs de peaux reflétant à merveille la population du pays. Alice murmurait des platitudes, un large sourire aux lèvres, enchaînait les poignées de main, s’excusait poliment auprès des convives qui, le téléphone à la main, réclamaient un selfie, en répliquant qu’elle n’en avait pas le temps.
Elle reconnut Libby au premier coup d’œil. Non seulement elle était étonnée d’avoir retenu son prénom, mais, de surcroît, Alice s’arrêta carrément au beau milieu de la queue – chose qui ne lui arrivait jamais.
— Mais qui voilà ? Bonjour ! Avant de démarrer, j’ai une question à te poser : est-ce que tu comptes te mettre à pleurer ?
La fillette lâcha un rire ravi qui tinta comme une mélodie aux oreilles de la princesse. Elle sentait que les gens rassemblés autour d’elle commençaient à faire le rapprochement. Les objectifs des appareils photo des journalistes officiels entamèrent une discrète danse frénétique.
— Non ! s’exclama Libby en effectuant une énergique révérence qui s’acheva par un petit bond.
Lorsque ses pieds touchèrent le sol, elle prit la pose. Elle ressemblait à un ange, dans sa robe vert clair.
— Je ne vais pas pleurer, aujourd’hui, euh… Votre Altesse. C’est bien comme ça qu’on dit ?
Alice opina de la tête. Il s’agissait de la formule de politesse consacrée, même si elle la réclamait rarement.
— Et si tu me présentais mes invitées, Libby ? proposa-t-elle.
— Elle, c’est mamie, déclara la fillette en désignant une femme âgée en train de rappeler à l’ordre la mère de Libby d’un petit coup de coude.
— Inès Marteau, Votre Altesse. Je suis ravie de vous rencontrer.
— Quel merveilleux accent ! s’extasia Alice. Un soupçon français, si je ne m’abuse ?
Mentalement, la princesse remercia sa mémoire photographique et la fiche que Josephine lui avait préparée en prévision de moments comme celui-ci.
— Oui, Madame. Je me suis installée à Paris en 1979. Je vois que vous n’avez pas oublié Libby. Je présume que vous vous souvenez de ma fille, Sara ?
— Bien entendu, acquiesça Alice. Quel plaisir de vous revoir, Madame Marteau.
Sara arqua un sourcil avant de tendre courtoisement la main. Malgré son dédain affiché pour la royauté, elle avait revêtu une tenue de circonstance. Alice avait du mal à ne pas détailler des yeux son tailleur-pantalon écru immaculé et son chemisier émeraude qui n’était pas sans rappeler la couleur de la robe de Libby et les motifs flamboyants de celle d’Inès, ainsi que le chapeau spectaculaire de cette dernière. Le trio formait un joli petit matriarcat.
— Merci de nous avoir conviées, déclara Sara.
Elle avait parlé à voix basse, sur un ton amical. Visiblement, la situation l’amusait un peu.
— Comme vous pouvez le constater, les membres de ma famille sont de fervents partisans de la vôtre, ajouta-t-elle.
— Et je leur en sais gré, répliqua Alice. J’ai encore beaucoup de monde à voir, mais d’ordinaire, les salutations sont suivies d’une collation. J’aime bien m’attarder sous le chapiteau pour boire un verre. Alors, si Libby a des questions, elle est la bienvenue.
— Vous n’êtes pas obligée… protesta Sara.
— C’est comme vous voudrez. Je dois filer. Oh, bonjour, très cher ! Merci d’être venu !
D’une démarche fluide, Alice alla rendre hommage à l’homme qui se tenait derrière Sara : un vétéran de l’armée dont les médailles étaient fièrement épinglées sur un uniforme repassé et amidonné avec soin. La princesse ruminait. Pourquoi avait-elle proposé à Sara de se joindre à elle ? Une poignée de main et de petits fours au concombre ne suffisaient-ils pas ? Pourquoi son traître de cerveau persistait-il à faire perdurer cette histoire ? N’avait-elle pas retenu la leçon avec les vidéos de l’autre jour ? Était-elle en train de préparer le terrain pour une nouvelle humiliation virtuelle ?
Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, elle réalisa que Sara l’observait. En son for intérieur, elle pria pour ne pas être, une fois de plus, le centre d’intérêt des réseaux sociaux.
[1] La Firm est le surnom donné à la famille royale.
Extrait de Yule d’A. M. Brawne qui sortira le 6 décembre
L’odeur des épices envahit mes narines, un mélange familier de cannelle et de clou de girofle. J’ouvris les yeux et me retrouvai devant une table remplie de mets : des papillotes dorées, plusieurs plats de gratins, le fameux chili végétarien de mon père, des biscuits de toutes les formes et couleurs, du cidre, du vin chaud avec et sans alcool, du lait de poule.
Partout, des bougies miel, pourpres et vertes illuminaient la salle. Une bûche grésillait dans la cheminée, nous réconfortant de sa chaleur. À l’opposé de la pièce, des objets faits maison pendaient au sapin : des porte-bonheur pour l’année à venir, ainsi que plusieurs fruits comme des pommes ou des mandarines.
L’endroit était décoré de lampions et de signes rappelant l’hiver : des flocons et des bonhommes de neige, des ours ou des cerfs, des branches de conifères, du houx, des couronnes de verdures parées de rubans rouges.
De la musique passait en fond. Des chants de Noël aux voix cristallines, pas assez fort néanmoins pour couvrir le brouhaha des conversations.
Autour de moi, des adultes discutaient, un verre à la main. Je les observais de loin, me sentant comme invisible. J’étais assise dans un fauteuil, la cheville emballée par des onguents. Contre l’avis de mes parents et, pensant qu’à sept ans on était déjà assez grande, j’étais allée patiner sur la mare à côté de la maison. Le résultat ? J’étais désormais clouée sur place, en rémission d’une mauvaise chute. Les autres enfants, moins casse-cou, avaient eu l’autorisation d’aller courir dehors en attendant le début du repas.
J’étais donc coincée ici, sans personne avec qui parler ou me divertir. L’ennui était presque aussi douloureux que ma cheville et je m’efforçais de ne pas regarder par la fenêtre, de peur de voir mes amis s’amuser sans moi. Mon frère avait proposé de rester, mais j’avais joué les braves et lui avais rétorqué que je pouvais m’en sortir toute seule. Je ne voulais pas qu’il se prive pour moi, il avait déjà si peu de temps à cause des devoirs supplémentaires que nos professeurs magiques lui donnaient. Il était doué, apparemment. On ne me complimentait jamais ainsi…
C’était la première fois que je ressentais la solitude. Celle qui vous entraîne dans des abysses profonds et sans lumière. Et ce, même si j’étais paradoxalement entourée de personnes et de lueurs vives. Rien n’y faisait. Je me sentais sombrer de plus en plus bas…
Mon père apparut devant moi, un sourire tendre aux lèvres, comme s’il comprenait exactement ce qui me passait en tête, sans même demander.
Il avait beau n’avoir aucun pouvoir, c’était le seul qui arrivait à deviner mes pensées. Même maman, la cheffe du clan, n’y parvenait pas. De toute manière, on ne partageait pas autant de choses ensemble qu’avec papa. Elle était constamment occupée avec mon jumeau et n’avait que peu de temps à me consacrer.
— Tu tiens le coup, Lizzie ? Ça te fait toujours mal ?
Je secouai la tête avec vigueur. Ma blessure aurait pu être bien pire, si la soignante de notre clan n’y avait pas jeté un œil rapidement. L’os avait été fêlé, mais désormais, j’en étais au stade de la foulure. Dans quelques heures, je pourrais à nouveau courir comme si de rien n’était.
— La pommade d’Eddie aide beaucoup.
Son sourire s’élargit. Lui aussi était fier des progrès de mon frère dans sa connaissance des plantes. Les enseignantes proclamaient déjà qu’il ferait un excellent maître des potions, quand il serait plus âgé.
Mon père posa alors une main sur mon genou, un geste réconfortant qui me fit oublier la tristesse liée à ma situation. Rien ne pouvait m’arriver de mal lorsqu’il était là, je le savais. Il embrassa doucement mes cheveux avant de me serrer contre lui avec une force qui me surprit.
— Tu n’es pas seule, Lizzie. Tu ne le seras jamais…
Je me redressai en sursaut, haletante. Ma chambre était plongée dans le noir et il me fallut plusieurs secondes pour me rappeler que je me trouvais à Londres. Seule.
Un regard en direction de mon réveil m’indiqua qu’il était trois heures du matin. Je sentais que je n’allais pas pouvoir me rendormir et me levai, pestant que, pour une fois, j’étais dans l’équipe de l’après-midi et aurais pu profiter d’une grasse matinée plus que bienvenue.
Je traînai des pieds jusqu’à la cuisine et lançai l’antique cafetière italienne de ma grand-mère. Pendant que l’eau bouillait, je sortis des roulés à la cannelle du congélateur et les mis dans le four de manière à les réchauffer. Je les avais faits moi-même à l’avance, sans rapport aucun avec ceux fabriqués à la chaîne qu’on vendait là où je bossais…
Une fois ma tasse et mon assiette remplies, je m’installai avec un plaid dans mon fauteuil préféré, celui à côté de la fenêtre avec une vue imprenable sur les toits de la ville. Malgré l’heure, il y avait sans cesse de l’animation. Ça différait du quartier dans lequel j’avais grandi, mais ce n’était pas pour me déplaire.
Une chose qui n’avait pas changé avec le temps, je détestais toujours autant l’ennui.
Je savais que ce rêve n’était pas anodin. Il avait certainement un sens évident destiné à m’ouvrir les yeux sur ma situation. Mais impossible de me concentrer dessus, le souvenir s’avérait trop nostalgique. Trop difficile…
Me lovant un peu plus dans le fauteuil, je resserrai la couverture autour de mes épaules avant d’attraper mon ordinateur et de lancer une vidéo sur une énième maison hantée aux États-Unis. C’était probablement étrange, voire inquiétant, mais ce genre de contenus me relaxait. Même lorsqu’on parlait de décapitation et de diverses horreurs, j’écoutais avec attention, et continuais de manger sans le moindre dégoût.
Un autre de mes dons qui ne serait jamais reconnu à sa juste valeur, sans doute.
Depuis toujours, j’étais fascinée par les crimes. Les seuls ouvrages que j’avais aimés enfant étaient les Sherlock Holmes et les Agatha Christie. Maintenant que j’avais découvert les podcasts et les livres audios, j’étais comblée.
Diane répétait sans cesse que ma passion pour Stephen King dépassait presque le raisonnable. Je ne pouvais pas la blâmer, c’était elle qui avait dû m’accompagner au cours d’une dédicace et j’avais été intenable durant les trois heures d’attente dans la queue. Elle me supportait pendant que je parlais de tous les bouquins de Stephen King, alors que c’était probablement l’adaptation filmée de Ça qui avait déclenché sa phobie des clowns.
C’était face à un tel dévouement et une telle générosité qu’on reconnaissait les vrais amis.
Tandis que le jour peinait à se lever sous mes yeux, je préférais mille fois m’immerger dans les crimes les plus odieux plutôt que repenser à mon rêve. Ce qui en révélait beaucoup sur ma capacité à plonger la tête dans le sable comme une autruche face à mes problèmes au lieu de les affronter.
***
Avec le manque de sommeil et mes songes tourmentés, il n’était pas étonnant que je débarque de très mauvaise humeur au travail. Même le metal que j’avais écouté toute la matinée à fond dans mon appartement n’avait pas réussi à me remettre d’aplomb.
Ma journée semblait vouée à être merdique et mon intuition me le confirmait.
Je venais à peine d’arriver que Kevin m’apprenait que notre collègue, Saima, était malade : nous allions devoir nous débrouiller à deux jusqu’à la fin de la journée. Son incapacité à me donner des informations sur l’état de santé de Saima me donna envie de lui envoyer mon poing dans la figure. Il ne l’avait jamais aimée, simplement parce qu’elle portait le hijab, même s’il se défendait bien de le dire à voix haute. Je le voyais à la façon presque dégoûtée dont il la regardait, alors que c’était une fille adorable et très sympa.
Pour éviter de me retrouver avec un autre blâme de la direction en raison d’une baston, je ravalai ma rage et adressai un message à la jeune femme afin de prendre de ses nouvelles. Elle me rassura rapidement, il s’agissait juste d’un coup de froid. Au moins ça.
Enfin, j’étais quand même bloquée ici pour plusieurs heures avec un punching-ball ambulant. Ce serait un miracle si je finissais cet après-midi sans lui écraser la tête contre le comptoir. Qu’est-ce que j’avais bien pu faire d’horrible dans une vie antérieure pour qu’on me teste ainsi ?
Je sentais en outre que je n’étais pas au bout de mes peines, aujourd’hui. Je devais me préparer au pire. Et bien évidemment, c’était dans ces jours de poisse que je ne songeais jamais à prendre de quoi me purifier ou m’apporter un peu plus de chance…
Aussi, au moment où la rouquine de l’autre fois débarqua, je crus que c’était terminé. Qu’elle allait m’achever en me collant au train et en me pompant mon énergie vitale. Lâche, je laissai Kevin se précipiter, cette fois-ci. Il plaça la rampe et je fus soulagée de voir que notre cliente trop lumineuse ne m’adressa qu’un sourire.
Elle s’installa ensuite à une table et sortit son ordinateur. Difficile de deviner ce qu’elle faisait, mais cela semblait exiger toute son attention, puisqu’une fois son chocolat chaud servi, elle ne quitta plus son écran des yeux.
De ce dont je me souvenais, elle venait dans le coin pour le boulot. Je me demandais dans quoi elle travaillait, malheureusement je fus vite trop occupée par les autres clients pour y penser davantage.
L’après-midi s’avéra chargé. Visiblement, tout le monde s’était donné rendez-vous dans ce petit Starbucks le jour où nous étions en équipe réduite. On n’arrêta pas une seule seconde, jusqu’à la fermeture. Lorsque je vins annoncer qu’on allait bientôt remballer, la poupée victorienne était toujours dans son coin. Je prêtai à peine attention à sa réponse, trop exténuée pour supporter son énergie manifestement inépuisable.
Je ne lui mis pas davantage la pression et commençai à disposer les chaises sur les tables, en attendant que tous les clients partent. Je vis juste du coin de l’œil sa silhouette quitter l’établissement, non sans un certain soulagement.
Vivement que cette journée de merde s’achève, que je puisse retrouver mon appart et être tranquille.
J’allais terminer de ranger, lorsqu’un objet attira mon attention. Un portefeuille, dont le look mignon et l’emplacement laissaient peu de doute quant à sa propriétaire.
Je poussai un long soupir et attrapai l’article oublié.
— Je reviens, déclarai-je simplement à Kevin en m’engouffrant dehors sans même prendre la peine d’attendre sa réponse.
Le froid me frappa de plein fouet et je regrettai immédiatement de ne pas avoir récupéré ma veste en cuir avant de sortir en trombe. Il ne me fallut heureusement pas longtemps pour repérer ma cliente tête en l’air.
Un peu plus haut dans la rue, un camion était stationné à moitié sur le trottoir, les feux clignotants allumés. J’aperçus la jeune femme hésiter, tenter de passer dans le faible espace qui restait entre le véhicule et le mur, avant de se résigner face à l’impossibilité de la tâche.
Quel abruti, ce conducteur ! Certains ne réfléchissaient vraiment pas…
La rouquine fit descendre prudemment son fauteuil sur la route, au moment où une voiture bifurqua dans l’allée, derrière le fourgon mal garé. Sans la voir à cause de la mauvaise visibilité, notre princesse aventureuse accéléra afin de contourner l’obstacle et je me mis à courir, espérant la rattraper à temps pour éviter l’accident.
Juste au moment où j’allais l’appeler, son fauteuil s’arrêta brusquement dans son élan, comme s’il avait buté contre quelque chose. Certainement un trou dans le bitume, étant donné l’état de la chaussée. La jeune femme se retrouva alors projetée en avant vers le centre de la route. Je n’eus pas le temps de réfléchir en voyant la voiture se rapprocher beaucoup trop vite et l’accident arriver de manière inévitable.
Je lançai mon bras devant moi et criai par réflexe :
— STOP !
Toute l’activité de la rue s’arrêta d’un seul coup, plongeant les environs dans un silence assourdissant. Ma main brillait tellement fort qu’elle m’illuminait comme un halo, ce qui me surprit et détourna un instant mon attention.
Je ne me savais pas capable de projeter un sort aussi puissant et pris un moment afin d’étudier les alentours, stupéfaite. J’étais certaine que Diane ne me croirait jamais quand je lui dirais ce que j’avais réussi à produire, surtout pour sauver quelqu’un. Autant en profiter tant que je pouvais.
Mon regard se figea cependant quand je relevai qu’une chose n’était pas immobilisée. À quelques mètres de moi, la rouquine avait beau être stoppée en plein vol, je remarquai clairement sa tête qui pivotait afin de mieux m’observer, faisant danser sa chevelure de feu. Elle me fixait dans un mélange de stupeur et de questionnement, ses yeux passant alternativement de moi au reste de l’allée puis à son fauteuil.
Surtout, je vis que le point rouge de la caméra qu’elle tenait en main pointait dans ma direction tout en continuant à clignoter.
Merde…
Rendez-vous début du mois de décembre pour retrouver ces deux titres !
Nous vous donnons donc rendez-vous au début du mois de décembre pour la sortie de ces deux nouveaux romans lesbiens. Deux cadeaux parfaits que vous avez le droit de vous offrir en avance pour Noël. De notre côté, les cartons sont sortis, les timbres et enveloppes sont prêts. Nous avons une bonne réserve de marque-pages. Nous attendons vos commandes papier !
Et Gaëlle se fera un plaisir de relayer vos avis et vos partages sur les réseaux sociaux. N’hésitez pas, d’ailleurs, à découvrir le compte Instagram d’A.M. Brawne qui partage les coulisses de son histoire. Et qui sera ravie d’échanger avec vous sur sa romance de Noël !
Et un petit rappel sur les couvertures, parce qu’elles sont très belles et qu’on les adore !
2 heroines étincelantes, enclines à secourir autrui. Des paillettes, de la féerie pour Noël, je ne vais pas me priver !
Ces 2 extraits arrêts sur image, plus que quelques jours à patienter. En attendant, je continue mon périple dans l’univers magique de « Dawn »
PS : j’aime beaucoup le verbe palabrer et venant de toi, Isabelle, ce n’est jamais inutile, bien au contraire !🥰🥰
Merci Cécile pour ton adorable message ! Je suis contente que tu aies apprécié ces deux extraits découvertes.
Et tu m’as trop fait rire en me disant que tu aimais le verbe « palabrer », il est clairement sous-utilisé à l’heure actuelle, il faut bien le reconnaître 🙂
Bon retour dans l’univers de « Dawn », en espérant que tu t’amuses bien entre toutes ces créatures surnaturelles et leurs pouvoirs.
C’est vrai que la langue française regorge de termes inusités , c’est dommage car notre vocabulaire est très riche !!
Avec » Dawn » je m’éclate royalement ! Et j’avoue avoir un penchant pour Holly, dont la tête éjectable valse injustement , heureusement qu’elle possède un bon stock de scotch 🥴🤯
Mmmm… mon coeur balance entre ces 2 héroïnes très différentes avec pourtant des points communs comme l’altruisme ou une famille compliquée. Je pense que je ne vais pas choisir et prendre les deux 🤪 Ça me fait penser à l’antépénultième livre que j’ai lu à propos de faire un choix cornélien. Pff j’ai placé ‘antépénultième’ dans une phrase 😂.
Bravo Zouzou ! Il fallait le placer celui-là !
2 termes rares mais assez faciles d’utilisation qui me font rire : amphigourique et sycophante 😁
Alors, je connaissais sycophante de ma période boulimique de polar quand j’étais plus jeune 🙂
Mais grâce à toi, je viens de découvrir amphigourique et j’aime particulièrement la définition de Wikipedia du mot qui veut croire qu’il est savant pour se moquer 😉
Et j’adore la manière dont ces échanges sont en train de partir en cacahuète.
Merci Céline pour la découverte de ces 2 mots que je ne connaissais pas mais j’adore 😻 !
Oh il est joliment bien placé celui-ci et il n’est pas facile à mettre dans un commentaire ou un article !!!! Très bien joué, Zouzou !
Et que pensez vous de rouflaquette? Comme palabrer c’est un peu suranné mais j’adore. Et dire que mon cousin en a … des rouflaquettes 😂!
Rouflaquettes, c’est mignon aussi, surtout que ça rime avec cacahuète dont je suis boulimique !😁
Je crois que je vais replonger dans le « Trésor de la langue française » 😇