Interview des Fondatrices de R2C : Edwine Morin répond aux questions d’Avril Cara

Interview Edwine Morin

Interview d’Edwine Morin, l’une des 3 cofondatrices de R2C

Bonjour Edwine Morin, heureuse de pouvoir t’interviewer, Gaëlle et Isabelle étant déjà passées entre mes mains avant toi ! Avant tout, n’oublions pas de préciser que même si tu as grandi en France, tu habites désormais au Canada. Ce n’est pas trop difficile de se coordonner avec Isabelle, Gaëlle et les autrices avec le décalage horaire ?

Bonjour Avril ! Merci beaucoup de prendre le temps de m’interviewer ! C’est un peu une déformation professionnelle, mais je ne sais pas faire de réponse courte aux questions, alors prépare-toi à une dissertation [rires]. Nous avons travaillé sur Reines de Cœur pendant un an dans l’ombre. Le tout avant de lancer officiellement la maison d’édition en été 2015. Mon déménagement au Canada a eu lieu en début 2015. Donc, même si nous avions eu l’occasion de passer du temps « physiquement » ensemble aux prémices de Reines de Cœur, la séparation géographique a eu lieu avant que la maison d’édition ne voie le jour.

Du coup, on peut dire que nous avons toujours connu la distance dans nos procédures de travail. Je vis avec neuf heures de décalage horaire. Il faut juste prendre ça en considération lors de nos prises de rendez-vous. Mais le calcul n’est pas super compliqué à faire : soit le soir en France et le matin chez moi, ou le matin en France et la veille au soir chez moi. En fait, vous vivez dans le futur en France et vous ne le savez même pas [rires] ! Parfois, le décalage horaire est une bonne chose, car on peut travailler à flux tendu. Lorsque je finis de travailler dans un document le soir, je l’envoie à mes associées ou aux autrices. Chez elles, c’est déjà le petit matin. Et si elles finissent de travailler dessus dans leur journée, je reçois ensuite le document au petit matin. Quand je me lève.

Avec le service client et les emails que nous recevons de la part de lecteurs et lectrices, nous pouvons en général être réactives grâce à cela. Je suis debout quand le reste du monde dort. Et vice versa. Donc, il y a toujours quelqu’un pour veiller au grain et répondre rapidement en cas d’urgence ! Je dirais que le challenge pour moi avec la vie à l’étranger est de maintenir mon niveau de français. À vivre et travailler en anglais, je me surprends à chercher mes mots et à faire des anglicismes. Et en garante de la langue française à ma petite échelle, je peux te dire que ça m’énerve !

Comment la maison d’édition Reines de Coeur a vu le jour

La dernière fois, Gaëlle nous a parlé de la façon dont Reines de Cœur a vu le jour. Un joli projet qui demande des partenaires de confiance… Du coup, comment êtes-vous devenues collègues toutes les trois ?

Nous nous sommes connues en travaillant sur le site Univers-L, créé par Isabelle en 2005. J’ai rejoint l’équipe en 2011, Gaëlle y était déjà depuis quelque temps. Nous sommes devenues amies au fil des échanges. C’est toujours bizarre d’imaginer le courant passer par email et pas dans la « vraie vie ». Mais on est animée par les mêmes passions, le même sens de l’humour. On peut en parler pendant des heures sans voir le temps passer.

Quand nous nous sommes rencontrées physiquement, environ deux ans après le début de ma collaboration avec Univers-L, ça a accroché aussitôt. Comme si nous nous étions toujours connues. On s’est rendu visite régulièrement, avec toujours la littérature et des échanges de livres et de points de vue au cœur de nos rencontres, et l’idée de Reines de cœur est née au détour d’un repas, arrosé pour Gaëlle et moi, et sobre pour Isabelle, qui est la voie de la sagesse de l’équipe [rires].

Lors de leur interview, Gaëlle et Isabelle nous ont parlé des tâches qu’elles effectuent en particulier chez Reines de Cœur. Est-ce qu’il y en a que tu gères exclusivement ou que tu privilégies ?

Je privilégie le travail éditorial. Ce n’est pas une tâche que j’effectue exclusivement, car Isabelle travaille aussi dans des textes. Et Gaëlle, de son côté, est super forte avec la relecture des traductions depuis l’anglais. La différence avec les filles est que je me concentre quasiment exclusivement là-dessus.

Je m’occupe aussi des projets spéciaux en rapport avec les publications. De la correspondance auteures et salon à l’époque du Salon du livre lesbien. Également de motiver les autrices à écrire des nouvelles lorsque nous lançons des concours et autres petites choses comme ça.

Même si je suis un peu geek, je ne suis pas aussi douée avec la technologie que ne le sont Isabelle et Gaëlle, alors c’est plus sûr de laisser ça entre leurs mains [pour le reste, ça rejoint un peu ta question du début, c’est là que la distance pose problème : j’aimerais pouvoir aider avec le côté paperasse, mais je suis limitée et certaines tâches exigent d’être présente en France (poster les livres par exemple) ou d’être ensemble pour travailler côte à côte (comptabilité et droits d’auteur par exemple).

L’expérience d’Edwine Morin avant les éditions Reines de Coeur

On peut lire dans ta biographie que tu as travaillé par le passé dans l’édition et le journalisme. Ces premières expériences t’ont-elles été utiles pour la création et la gestion de Reines de Cœur ?

Oui, ces expériences ont été super utiles. Quand on a eu la chance de voir de l’intérieur comment les choses fonctionnent et comment la chaîne du travail s’organise, on peut utiliser ces connaissances pour mettre en place des procédures plus facilement pour s’organiser et ensuite on modifie et on personnalise ces procédures en fonction de nos besoins particuliers ou de ce que nous préférons.

Cette liberté est agréable, car que ce soit au niveau de mon expérience en maison d’édition ou en journalisme, et même quand je suis devenue rédactrice en chef d’un journal à Vancouver, tu reçois toujours tes ordres de la hiérarchie. Tu peux parfois modifier certaines choses, mais en général, tu dois suivre l’ordre établi qui était là avant toi, et qui sera encore là après toi, et en ce sens, c’est agréable quand tu es ton propre patron, tu façonnes tout de la manière dont tu le souhaites.

C’est à double tranchant : ça peut faire peur de créer une société en partant de zéro, donc c’est toujours rassurant d’avoir de l’expérience. Après, on va être honnête, il y a plein de choses qu’on a apprises au fur et à mesure, on était loin de tout savoir et d’être préparées pour toutes les situations que l’on a rencontrées !

Après des années à travailler dans le milieu littéraire et de l’édition, est-il encore possible de savourer ses lectures comme n’importe quelle lectrice ? Ou la professionnelle a-t-elle tendance à prendre le dessus et à voir les qualités et défauts d’un ouvrage ?

Ça va être horrible de dire ça, mais je ne lis plus — ou presque — depuis la naissance de Reines de cœur ! Enfin… pour clarifier : je ne lis plus autre chose que nos romans ou nouvelles chez Reines de cœur. Pas parce que je n’ai pas envie, mais parce que le temps manque.

Entre la vie qui est parfois bien [trop ?] remplie, les boulots « alimentaires » et Reines de cœur, j’avoue que si je devais trouver du temps pour lire, il faudrait que je coupe sur autre chose, ma vie privée par exemple [rires]. Parfois, j’avoue, j’ai besoin de ne pas réfléchir du tout et j’opte pour une série télé ou une émission, et dès que ma tête touche l’oreiller – voire même avant -, je ne suis déjà plus de ce monde [rires].

Et en plus, je ne vais pas m’en plaindre. Loin de là ! Mais notre succès est tel que nous avons tout le temps une super longue liste de soumission de tapuscrits en attente de lecture. En attente de lecture et de retours. Du coup, je culpabiliserai de lire autre chose quand je sais que j’ai cette liste-là qui attend.

Les scènes de sexe dans les romans lesbiens

Attention, la question coquine de l’interview… Qui dit romance, dit souvent érotisme. Selon toi, est-ce qu’une bonne histoire nécessite une scène de sexe entre ses personnages ?

Hahaha. Si tu voulais savoir si j’avais l’esprit mal placé, tu aurais pu directement me poser la question [rires] ! Sérieusement, je pense que l’intimité est importante dans la vie, donc elle doit l’être aussi dans un roman. Je ne pense pas non plus que ce soit obligatoire d’avoir des scènes érotiques dans un roman. Tout dépend du contexte et si l’histoire s’y prête.

En général, dans le cadre d’une romance en tout cas, je préfère voir des scènes d’intimité. Et ça nous en dit aussi beaucoup sur les personnages et sur leur relation. On ne va pas se mentir, le passage à l’intimité est un grand pas à sauter dans la vie. C’est important. Et comme les romances sont censées être crédibles tout en nous faisant rêver, les relations sexuelles devraient revêtir la même importance au moment de l’écriture.

Pour ne rien gâcher, une scène d’amour bien amenée et bien écrite peut faire ressentir des choses similaires à la situation réelle, sans les désagréments de la situation réelle comme par exemple la mauvaise haleine du matin, un mauvais coup ou une petite copine collante… [rires] je plaisante, mais je suis sûre que tu voies ou je veux en venir ;]

Edwine Morin vous incite à prendre des risques et à tenter

S’il est plutôt courant et légitime qu’une autrice aime lire, il est plus rare de rencontrer des lectrices qui apprécient l’art de l’écriture. Des fois, elles ont envie d’essayer, mais manquent de confiance en elles et abandonnent rapidement cette idée. Avec ton expérience, as-tu un conseil à leur donner ?

Personnellement, mon crédo est de ne pas avoir de regrets. Même si l’échec est difficile, je préfère savoir que j’ai essayé plutôt que de passer ma vie avec des « et si… » dans la tête. Donc je conseillerai à n’importe qui de foncer. Toujours. Essayer de faire ce qui nous rend heureux, à la seule condition que ça ne nuise pas à autrui.

Ce conseil ne s’applique pas seulement à l’écriture, mais à la vie en général. Fais ce que tu aimes, ce qui te fait vibrer. Danse même si tu ne sais pas danser, écris même si tu n’es pas Victor Hugo et amuse-toi, apprend, profite. On devient meilleur écrivain en s’entraînant, il faut oser et persévérer. Écrire, c’est comme un sport, on peut rarement être excellent du premier coup, c’est dans la répétition qu’on atteint les objectifs souhaités.

Alors il faut garder ça en tête quand on se met à l’écriture : comme n’importe quel art ou métier, il y a des procédures à connaître, des trucs à savoir, des ressorts à utiliser, ça se maîtrise avec l’expérience. Mon conseil est de ne pas avoir honte, on écrit avant tout pour se faire plaisir, parce qu’on voulait exprimer quelque chose, pas forcément pour se faire publier.

Essayer d’oublier l’objectif publication à tout prix dans un premier temps et se concentrer sur le plaisir pris à écrire est primordial. Je n’écris jamais pour être publiée, j’écris pour mettre certains rêves ou idées sur papier, et si je peux y parvenir, pour faire rêver par la suite celles et ceux qui auront envie de me lire. Il y a des livres qui aident à comprendre les rouages d’un scénario, ce qui rend un style fluide, appréciable, qui donnent des astuces pour mettre sur papier de façon efficace les idées que vous avez dans la tête…

Je sais qu’en ce moment, Isabelle est en pleine lecture à ce niveau-là et qu’elle partagera sûrement le résultat de ses recherches pour aider les écrivaines ou aspirantes-écrivaines. En termes pratiques, le conseil que je donnerais serait de commencer à écrire des textes courts, par exemple des nouvelles d’environ 10 pages dans un traitement de texte type Word (police 12) avec deux personnages, une situation initiale, deux ou trois rebondissements et une chute. Ne vous bloquez pas à dix pages absolument, faites plus long ou plus court, en fonction de comment vous le sentez.

Quand c’est écrit, essayer de le relire en prenant le plus de recul possible, comme si vous lisiez le texte d’une autre personne, afin de repérer avec clairvoyance les forces et faiblesses, ce qui fonctionne et ce qui peut être amélioré, ce qui est fluide ou au contraire ce qui est poussif et doit être raccourci ou dynamisé. Et puis ensuite faites-le lire à des proches (famille, amis, partenaire), des auteurs ou aspirants auteurs, des éditeurs… Montrez progressivement votre texte aux personnes qui ont votre confiance ou qui se trouvent dans votre zone de confort. Avisez en fonction des retours !

Les appels à texte des éditions Reines de Coeur

Est-ce que Reines de Cœur lancera de nouveaux appels à textes à l’avenir ? Et à l’heure actuelle, peut-on vous soumettre un manuscrit ?

C’est certain qu’on lancera de nouveaux concours, car on adore faire ça. Peut-être l’été prochain ? Depuis fin 2018, nous avons augmenté notre rythme de publication en termes de roman, quasiment un par mois, et ça nous tient assez occupées de nous tenir à ce calendrier donc on a dû se concentrer sur cet aspect-là cette année.

Et sinon, c’est possible de nous soumettre des manuscrits n’importe quand ! On cherche toujours à publier et à découvrir de nouveaux talents et vous pouvez trouver toutes les informations utiles à cette adresse : https://www.reinesdecoeur.com/publier-livre-lesbien-chez-rdc/ N’hésitez pas à nous envoyer un mail ou à nous poser vos questions !

Et pour finir, on va se livrer au jeu du « qui est la plus… ? ». Comme vous allez toutes les trois avoir cette même série de petites questions, ça sera un bon moyen de comparer vos réponses. Attention, c’est parti !

De vous trois, qui est la plus :

  • Exigeante: Nous sommes toutes perfectionnistes et très exigeantes envers nous-mêmes ! On ne se permet pas de donner des ordres à nos associées, car on fonctionne d’égal à égal et on sait toutes à quel point Reines de cœur nous tient à cœur, donc je dirais qu’on a le même degré d’exigence.
  • Organisée: Isabelle.
  • Timide: Difficile à dire. Je dirais à l’inverse que Gaëlle est la moins introvertie de nous toutes !
  • Drôle: L’humour est subjectif, je vais laisser le soin aux lectrices de se faire leur idée après avoir lu nos différentes interviews ! En tout cas, notre travail se fait toujours dans le rire et la bonne humeur, de la part de nous trois !
  • Étourdie: Aïe… Moi ? En général, je m’en rends vite compte quand j’oublie quelque chose, comme une pièce jointe. Ça n’arrive pas souvent non plus, je crois qu’on arrive toujours à limiter la casse, sauf quand la fatigue s’en mêle trop !

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