7ème Etage [Nouvelle]

Titre : 7ème Etage

Auteure : Marie Parson

ISBN : pdf : 978-2-37838-142-4 ; ePub : 978-2-37838-140-0 ; mobi : 978-2-37838-141-7

Date de Sortie : 21/07/2020

Nombre de Pages : 95 pages

Résumé : 

Extrait :

Sa sacoche en cuir dans une main et le petit cadeau emballé dans l’autre, Laura entra dans l’immeuble où vivait son frère. En cette fin du mois de mai, la porte avait été laissée grande ouverte pour permettre à la chaleur d’y pénétrer. Laura regrettait presque d’avoir mis sa veste de tailleur sur ses épaules, mais dès l’instant où elle avait commencé à exercer comme professeure, elle s’était donné pour objectif de toujours être impeccable.

Elle fit quelques pas dans le hall puis s’arrêta devant l’ascenseur. Après avoir libéré un doigt de sa poigne sur le paquet aux couleurs enfantines, jaune, rose et bleu, elle appuya sur le bouton et attendit, patiemment. Dans sa tête, les mêmes mots tournaient en boucle alors qu’une douce euphorie régnait dans son cœur. Je suis tata, je suis tata, je suis tata ! J’ai un neveu, j’ai un neveu, j’ai un neveu ! L’ensemble constituait une paisible musique, telle une berceuse. Un bonheur tout neuf, léger et agréable l’habitait depuis la naissance de Jason, quelques jours auparavant.

Au moment où les portes s’ouvrirent, elle s’engouffra d’un pas sûr dans ce moyen de transport rapide qui allait lui éviter de monter sept étages à pieds. L’escalade était inenvisageable. Pas aussi chargée, pas avec ces chaussures, pas par cette chaleur, pas à ce niveau. Elle voulait bien faire des efforts, mais il y avait quand même des limites. Une fois dans la carcasse métallique, Laura jeta un discret coup d’œil dans le miroir. Son carré à la mode n’avait pas bougé, ses lunettes avaient légèrement glissé sur son nez, mais pas au point d’avoir besoin d’être remontées, et aucun défaut apparent sur sa tenue n’était visible. Parfait. Elle se retourna, pressa le numéro 7 et se positionna au centre de l’espace. Les battants se refermèrent tranquillement.

À l’instant où les portes allaient se toucher, une main s’engouffra dans le mince interstice afin de bloquer ces dernières. Laura grimaça face à cette soudaine intrusion, sans pour autant réagir ou dire un mot. Si une personne repoussait son départ et s’imposait, elle n’allait pas, en plus, lui apporter son aide. Un regard sur les doigts fins aux ongles courts sans vernis lui apprit qu’il s’agissait d’une femme. Cette constatation n’eut pas le moindre impact sur son attitude. La solidarité féminine ne faisait pas partie de son vocabulaire quand elle était presque en retard. Parce qu’elle était juste à l’heure et si ça continuait, ce ne serait peut-être plus le cas.

Les battants se rouvrirent, permettant à l’inconnue de se glisser à ses côtés. Ses cheveux auburns ondulés partaient dans tous les sens et son souffle était rapide. Elle avait visiblement couru sur les derniers mètres. Après avoir repoussé des mèches rebelles lui tombant sur les yeux, la jeune femme se tourna vers le tableau et nota que le bouton numéro 7 était déjà lumineux. Avec un grand sourire, elle pivota vers Laura et commenta, une réelle sympathie dans la voix.

— Nous allons au même étage !

Lorsque son regard croisa les prunelles vert clair, Laura resta interdite. Elle ne connaissait qu’une seule et unique personne avec cette couleur si particulière. Une personne qu’elle n’avait pas revue depuis des années. Une personne qu’elle détestait au plus haut point. Sa bouche s’assécha. Quand ses yeux glissèrent sur le nez fin, les lèvres pleines et la discrète cicatrice sur le menton, l’évidence s’imposa. Elle ne rêvait pas.

— Bonjour, Jade.

La même réalisation dut frapper la nouvelle venue, car son visage se ferma aussitôt, son sourire disparut et la lumière dans ses prunelles diminua, faisant virer leur couleur vers un gris tempête. Remontant ses mains sur les bretelles de son sac à dos, la jeune femme murmura comme si les mots lui écorchaient la gorge.

— Salut, Laura.

***

Cette journée était clairement la pire de sa vie. Depuis qu’elle avait débuté, Jade ignorait les signes. Elle faisait son possible pour s’adapter et rester maîtresse de ses sentiments. Seulement, là, c’était trop. Que son réveil n’ait pas sonné à cause d’une mise à jour nocturne et n’ait pas gardé en mémoire son alarme, cela s’entendait. Qu’en conséquence, elle soit arrivée en retard au travail se comprenait et s’expliquait, même si elle avait dû s’excuser platement auprès de ses collègues. Qu’elle n’ait pas eu la possibilité de s’arrêter pour grignoter un morceau, elle y était accoutumée et pouvait faire avec. Qu’elle ait encore dû faire des heures supplémentaires pour transmettre sa relève, elle en avait l’habitude. Qu’elle se soit retrouvée coincée dans les bouchons au moment d’accompagner sa mère à sa séance de radiothérapie avait été à deux doigts de mettre sa patience en péril. Que les manipulateurs-radio lui aient fait la leçon quand elle l’avait finalement déposée dix minutes trop tard, elle avait pu l’accepter. Qu’elle ait seulement eu le temps d’acheter une peluche au magasin de l’hôpital, elle le tolérait parce qu’elle n’avait pas eu le choix. Mais là ! Là ! C’était trop !

Qu’elle doive se farcir le trajet en ascenseur aux côtés de la sœur rigide, chiante et hautaine de son meilleur ami n’était pas dans le contrat ! L’univers entier se moquait d’elle, il ne pouvait pas en être autrement. Qu’est-ce qu’elle avait fait pour mériter ça ? Ce n’était pas possible. C’était un cauchemar !

Ça veut dire qu’elle va aussi voir Justin, Elena et le petit Jason. Je vais devoir la supporter pendant toute ma visite. Non… N’anticipe rien, elle a peut-être changé. Ne te projette pas, laisse les choses arriver. Avec de la chance…

Heureusement, cet ascenseur était large, dans cet immeuble récent, leur évitant d’être collées l’une à l’autre. Le dos tourné à Laura qui s’était reculée au fond de la cabine pour lui permettre d’entrer, Jade fixa son attention sur les chiffres lumineux qui progressaient au-dessus de la porte. 2… 3… 4…

Elle se concentrait sur sa respiration afin de chasser les pensées parasites qui s’emparaient de son esprit. Elle pouvait le faire. Elle avait grandi, elle était aujourd’hui une adulte responsable.

Pourquoi le 5 ne s’affiche pas ? Intriguée et surprise, Jade tendit l’oreille et perçut un étrange couinement ressemblant à un râle d’agonie.

Tout, mais pas ça. Pitié. Tout, mais pas ça. Je ne peux pas rester bloquée dans un ascenseur avec cette femme. C’est hors de question. C’est inenvisageable. C’est impossible !

Indifférente à ses prières silencieuses, la boîte de métal s’arrêta soudain dans un grincement à réveiller les morts.

Sous le coup de la colère, perdant patience pour la première fois depuis bien longtemps, Jade céda.

— Putain de merde, fait chier !

D’accord, la vulgarité n’arrangeait rien, mais permettait, dans des situations comme celle-ci ou des journées comme celles d’aujourd’hui d’ouvrir les vannes et de relâcher la pression.

Dans le but de regagner son calme, Jade expira profondément et s’autorisa ensuite à penser. Très bien. On fait quoi, maintenant ? Elle fut cependant prise de court par les quelques mots qui atteignirent bientôt ses oreilles.

— Toujours aussi grossière. Tu n’as pas changé.

La vague d’énervement et d’irritation reflua aussitôt. Sous le coup de l’exaspération, elle crispa les mâchoires, les poings, les orteils. Le sang gorgé d’adrénaline inonda son cerveau, son cœur et le reste de ses organes. Jade ne supportait pas cette femme. Clairement, rien ne pourrait jamais altérer cette réalité. Quelques années auparavant, elle se serait retournée pour se lancer dans un affrontement verbal à défaut d’un affrontement physique. Parce qu’on ne cognait pas la sœur de son ami, même si celle-ci était la pire personne au monde.

Tu as grandi, Jade. De l’eau a coulé sous les ponts. Si cette rabat-joie imbue d’elle-même souhaite vivre sa vie ainsi, c’est son problème. Ne rentre pas dans son jeu, tu es plus forte. Tu es différente parce que tu vises la meilleure version de toi-même. Et non, la meilleure version de toi-même ne se rabaisserait pas à lui répondre, à s’énerver et à la frapper. La meilleure version de toi-même est bienveillante, garde son calme, apprend à s’adapter.

Aucun bruit ne se faisait entendre. L’ascenseur était complètement à l’arrêt et rien n’indiquait qu’il allait se passer quoi que ce soit. Depuis sa déclaration, Laura n’avait pas bougé. Elle restait debout, droite comme un « i », Jade en avait conscience sans avoir besoin de se retourner. La sœur de Justin avait toujours agi ainsi. Et visiblement, elle n’avait pas changé malgré les années, elle. Jade se demanda si Laura n’allait pas piquer une crise et perdre patience, mais à sa plus grande surprise, rien n’avait l’air de se produire.

Après avoir inspiré profondément une nouvelle fois, Jade appuya sur le bouton d’alarme de l’ascenseur. Elle dégaina son téléphone portable puis composa le second numéro enregistré en favori. La sonnerie retentit deux fois avant que la personne ne décroche.

— Hé Justin, la forme ?

— Jade, comment ça va ? Tu arrives bientôt ?

— Je n’ai malheureusement pas la réponse à cette question. Ta sœur et moi sommes coincées dans l’ascenseur de votre immeuble visiblement entre le quatrième et le cinquième étage.