Jasmin [Nouvelle]

Titre : Jasmin

Auteure :  Aurélie Spiaggia

ISBN : 979-10-95349-74-7

Date de Sortie : 16/05/2017

Nombre de Pages :  75 pages

Résumé : 

« — Tu ne crois pas que des rencontres peuvent changer le cours de ta vie ?

— Je crois que seules les rencontres peuvent changer le cours de ta vie », dit Marlène à Cléa, sa jeune collègue, comme pour la rassurer.

Marlène, jeune trentenaire, décide de tout plaquer. Son travail dans une fondation d’art réputée, son histoire sans lendemain avec Vicky, une artiste opportuniste à l’ego surdimensionné, son petit confort parisien… Elle part s’installer à Jasmin, ville modeste où elle a grandi, à quelques heures de Paris.

Là-bas, la jeune femme démarre un emploi au sein d’une association. Cette mission et ses nouveaux collègues ancrent Marlène dans une autre réalité, bien loin des soirées mondaines parisiennes. Sans parler de sa rencontre avec Elsie, la responsable des partenariats, qui mettra à mal les bonnes résolutions qu’elle s’était fixées…

Entre retour aux origines et quête de soi, Marlène trouvera à Jasmin bien plus que ce qu’elle était venue chercher.

Extrait :

Les stations de métro défilent et je manque de rater la bonne. Le contrat dans mon sac, je me répète en boucle comment j’annoncerai ce brusque changement de vie à ma mère. Je la vois d’avance me dire à quel point mon choix est complètement irresponsable, presque immature. Je la vois chercher dans le tiroir de la cuisine, en faisant comme si elle ne trouvait pas la clé de la maison de Jasmin. Surtout, je me vois lui tenir tête, quoi qu’il arrive. Même si je ne suis sûre de rien, moi non plus. Même si elle aura sûrement raison de me faire la leçon.

En y repensant, j’aurais dû lui proposer d’aller au restaurant, pour éviter une scène, plutôt que de la voir chez elle. Ma mère n’est pas du genre à crier, non. Mais elle peut s’emporter et… comment dire ? Parler un peu plus fort. Vraiment plus fort, si elle n’est pas d’accord avec ce qu’on lui raconte. Je me demande à quel moment lui annoncer que je quitte mon travail. Son travail, en fait. Le poste que j’ai obtenu quand elle est partie à la retraite, au moment où je finissais mes études. Elle ne tient jamais plus de dix minutes sans me demander comment avancent les projets, et me donner des conseils, des noms de personnes à contacter. Je ne pourrai pas faire semblant tout le repas. Il faudra que je le lui dise de suite, en entrant. Non, pas en entrant, ce serait vraiment étrange de répondre à son « Bon anniversaire ma chérie ! » par un « Je démissionne, je quitte la ville, j’ai accepté un autre poste à Jasmin. » Définitivement pas en entrant.

***

Quand ma mère ouvre la porte, dans sa belle robe de soirée, une coupe de champagne à la main qu’elle me tend immédiatement, j’hésite à lui dire la vérité. Je pourrais faire comme si de rien n’était, chercher les clés pendant qu’elle s’absente un moment. Après tout, je suis une adulte, je ne suis pas obligée de tout partager avec elle.

— Bon anniversaire ma beauté !

— Maman, je pars vivre à Jasmin.

C’est sorti comme ça, sans que j’y pense. Je vois dans son regard une incrédulité inédite. J’ai fait beaucoup de scènes à ma mère, quand j’étais adolescente et que nous ne vivions plus que toutes les deux, mon père ayant déserté après mes six ans, sans autre manière qu’une courte note à mon attention, m’expliquant que ce n’était pas de ma faute, mais qu’il n’était pas fait pour être père, qu’il nous laissait la maison de Jasmin, blablabla. J’ai souvent testé mes limites, et celles de ma mère par la même occasion. Mais jamais je n’avais vu un tel regard chez elle, un mélange d’incompréhension, de souci, et surtout de déception.

Elle prend mes affaires et les accroche dans la penderie de l’entrée. Je la suis au salon. Je remarque qu’elle a déjà dressé une table pour l’apéritif. Je m’en veux immédiatement, comme si je gâchais le bon moment qu’elle préparait pour nous.

— C’est quoi cette histoire, Marlène ? C’est encore à cause de Vicky ?

— Non, non, bien sûr que non.

Bien sûr que oui. Pas tout à fait, mais quand même. Ma rupture avec Vicky, il y a trois mois, a joué un grand rôle dans ma remise en question existentielle.