Jeu, set et Match [Nouvelle]

Titre : Jeu, set et Match

Auteure : Johanna David

ISBN : 978-2-37838-087-8

Date de Sortie : 21/05/2019

Nombre de Pages : 100 pages

Résumé : 

Été 2012. Jennifer Andrieux est parmi les meilleures joueuses mondiales de tennis. Pourtant, son échec lors de la finale du plus grand tournoi français a laissé des traces. Malgré le soutien de son coach et de sa compagne, la championne songe de plus en plus à mettre un terme à sa carrière.

Printemps 2018. Stefany Pasquier, à peine vingt-quatre ans, est la numéro 1 du tennis français. En pleine ascension, elle ne perd pas de vue son objectif : intégrer le top ten. Après une cuisante défaite, elle renvoie son entraineur et remet toute son organisation en question.

Lorsque Stefany croise Jennifer, l’évidence s’impose. L’ancienne internationale est la coach idéale. Mais de tournois en sessions d’entrainement, la jeune prodige éprouve des difficultés à percer la carapace de sa nouvelle alliée. Jennifer lui fera-t-elle un jour confiance au point de lui parler de son passé ?

Extrait :

Jennifer

Roland Garros, juin 2012

— Jeu, set, et match, Mademoiselle Li.

La phrase prononcée au micro par l’arbitre résonne dans ma tête sans que je ne puisse imprimer un seul mot. Mon adversaire s’effondre de l’autre côté du filet. Elle exulte et pleure de bonheur. Je n’entends plus le public, seulement un brouhaha incertain qui me semble émaner d’une dimension parallèle. Je crois qu’à ce moment-là du match, mon esprit s’évade de mon corps. C’est comme si je visualisais la scène de l’extérieur. Je me vois, la raquette pendante dans la main droite, les épaules basses, le visage fermé. J’attends sagement à hauteur du filet que mon adversaire veuille bien mettre fin à son effusion de joie pour venir me serrer la main, et ainsi sceller cette partie. En patientant, je prends celle de l’arbitre. Il m’observe d’un drôle d’air. Le contact est bref, j’agis automatiquement. La Chinoise se matérialise enfin face à moi. Elle m’offre un sourire gêné et tente de me tapoter l’épaule, je me dérobe rapidement. Je n’essaye même pas de faire bonne figure. Sans un regard vers le public qui m’a applaudie ces deux dernières semaines, je récupère mon sac de sport et celui contenant mes raquettes. Je file au vestiaire. J’ai perdu la finale de Roland Garros. Ma déception est immense.

***

Kate m’a précédée et m’attend déjà. Je vois à ses yeux qu’elle est déçue. Ce constat me brise d’autant plus le cœur. Évidemment qu’elle est déçue ! Kate est tout pour moi : mon entraîneuse physique, ma confidente, et surtout ma petite amie. Je m’effondre dans ses bras, inondant son cou de mes larmes. Elle tente de me réconforter autant que possible.

— C’est fini, chérie, c’est fini… Pleure, tu dois évacuer tout ça.

Je hoquète.

— Elle était… pour moi… cette finale.

Kate me caresse les cheveux, m’apaise, me berce presque.

— Shhh… tu l’auras ta victoire… ce sera pour l’année prochaine.

Sa phrase me fait l’effet d’un électrochoc. Je hurle à travers le vestiaire :

— Il n’y aura pas d’année prochaine ! J’ai 30 ans et j’ai perdu la finale de Roland Garros, Kate ! C’est fini pour moi, c’était ma dernière chance ! J’ai perdu contre la numéro 67 ! Putain, je suis dans le top 10, ce match était pour moi ! Mais qu’est-ce qui cloche chez moi ?! Je bosse comme une forcenée toute l’année, et pour les rendez-vous importants, je ne suis pas là ! Je n’ai jamais remporté de tournoi du Grand Chelem, je m’insupporte Kate ! Je suis une looseuse !

Kate me fixe de ses yeux verts et comme depuis cinq ans maintenant, cela me fait l’effet d’un calmant. J’abdique.

— Excuse-moi.

Elle pose ses mains de part et d’autre de mon visage encore baigné de larmes.

— Tu vas aller récupérer ton plateau ma belle…

J’ai une pauvre grimace à l’évocation du trophée remis au finaliste de ce fabuleux tournoi. Kate et moi nous sommes tellement moquées de ce plateau d’argent en nous lançant des “on a déjà de quoi servir l’apéro à la maison”. Je lui offre tout de même un rictus qui s’apparente à un sourire.

— Ça nous apprendra, hein…

Elle incline la tête et hausse les épaules.

— Allez, fais bonne figure, Jen. Tu souris, tu félicites ton adversaire pour son super jeu même si tu n’en penses pas un mot, tu remercies tout le gratin, puis basta. Tu prends une semaine de vacances et on passe à autre chose.

Je respire un grand coup. Kate a raison. Que puis-je faire d’autre de toute façon ?

Elle m’embrasse tendrement les lèvres et me met une petite tape aux fesses. Ce geste m’encourage à entrer dans la fosse aux lions pour une dernière parade.

Stefany

Tournoi de Rome, mai 2018

— Allez, encore, Stef. Fais attention à ton plan de frappe, voilà vers l’avant. C’est bien ça, vas-y, continue. Engage ton corps, voilà !

J’expédie la dernière balle d’un coup droit rageur qui tombe pile dans l’angle opposé du court. Des gouttes de sueur perlent de mes tempes, mon débardeur est trempé. Mon entraîneur m’offre un sourire ultra bright et ajuste sa casquette.

— C’est génial Stef, ce que tu me fais. C’est bon, on va pouvoir ranger, c’est fini pour aujourd’hui.

Le soleil éclatant de cette fin de journée de mai m’éblouit. Tant mieux, en plus de travailler, je parfais mon bronzage. Chris est mon coach depuis six mois maintenant. Un exploit en soi ! Tous les autres n’ont pas tenu aussi longtemps. Je suis exigente et me donne les moyens de bien m’entourer pour aller loin. Je m’approche de lui, claque ma main dans la sienne. Je minaude un peu, je fais l’ingénue. J’observe ses yeux, les réactions de son visage et je sais que ce n’est qu’une question de semaines. Je le flatte sur sa méthode ainsi que les résultats obtenus grâce à lui. Un jour, j’en fais le pari, ce beau brun sera pris dans mes filets et je n’en ferai qu’une bouchée.