Parler de littérature lesbienne francophone n’est pas très facile tant l’histoire est marquée par la littérature lesbienne mondiale. Dans cet article, nous allons essayer de faire un focus littéraire sur ce sujet.
La littérature lesbienne francophone, qu’est-ce que c’est ?
La littérature lesbienne regroupe un ensemble d’œuvres, à la fois écrites et orales, traitant de l’homosexualité féminine. Par extension, la littérature lesbienne francophone s’intéresse à ce genre plus précisément en langue française.
Il est intéressant et important de préciser que la littérature lesbienne peut être faite par des femmes lesbiennes. Pour des femmes lesbiennes. Cependant, des femmes hétérosexuelles et des hommes se sont également souciés de cette question. Ils et elles ont publié des ouvrages sur le sujet.
La littérature lesbienne mondiale a débuté avec Sappho de Lesbos.
Nous n’allons pas vous proposer une thèse complète sur le sujet. Ce serait très malvenu, aucune de nous trois n’est historienne ! Par contre, nous pouvons sans problème nous mettre d’accord sur le fait que la première autrice lesbienne est Sappho de Lesbos. Tout le monde est du même avis ! Si un grand nombre de ses poèmes ont disparu et n’ont pas été retrouvés, d’autres permettent quand même de découvrir son œuvre.
Cette grande poétesse était chargée de veiller à l’instruction d’un groupe de jeunes femmes. Sappho leur a proclamé son amour à travers plusieurs histoires. Vous voulez en apprendre plus sur celle qui vécue entre le VIIème et le VIème siècle avant JC ? Alors découvrez l’impressionnante page Wikipédia à son sujet.
Mais, comme vous vous en êtes rendu compte, Sappho ne parlait pas français, elle était grecque. Et en France, à cette époque, on n’a rien, nada.
La littérature lesbienne francophone est très liée à la littérature lesbienne anglophone entre 1900 et 1950.
Renée Vivien
De son véritable nom Pauline Mary Tarn. Elle est née en Angleterre en 1877 et est décédée en France en 1909 a marqué la littérature. Poétesse, elle a publié 12 recueils très personnels et lesbiens. Elle a également proposé des traductions de poèmes de Sappho dans deux livres.
Elle a laissé une importante correspondance derrière elle. Correspondance avec entre autres : Natalie Clifford Barney (avec qui elle a eu une liaison tumultueuse). Kérimé Turkhan Pacha (également l’une de ses amantes). Amédée Moullé et Jean Charles-Brun.
D’origine britannique, Renée Vivien a plus vécu en France que dans son pays d’origine. Cette réalité fait d’elle une figure de la littérature lesbienne francophone.
Natalie Clifford Barney
Cette américaine, née en 1876 dans l’Ohio, s’est passionnée pour la langue française dès son plus jeune âge. Elle a dix ans lorsque sa mère s’installe à Paris avec elle et sa soeur. Là, elle intègre d’excellentes écoles et apprend le français qu’elle parle couramment.
Natalie Clifford Barney prend conscience qu’elle est homosexuelle à l’âge de douze ans et décide alors de ne pas le cacher. Peu encline à la fidélité, elle enchaînera les relations amoureuses avec de très nombreuses femmes.
Elle sort un premier recueil de poème en 1900 puis le livre l’Amour Libre un an plus tard. Riche héritière, elle s’établit définitivement dans la capitale française et crée un salon littéraire très prisé qui regroupera de nombreuses personnalités de l’époque.
D’autres anglosaxones ont marqué la littérature lesbienne française à cette même époque…
Parmi ces autrices célèbres, nous pouvons citer Gertrude Stein. Cette romancière et poétesse américaine passera la plus grande partie de sa vie à Paris également. Sa compagne, Alice B. Toklas est aussi extrêmement connue.
Marguerite Yourcenar aura le parcourt inverse. Née en France, elle partira s’installer aux Etats-Unis en 1939, au début de la guerre. Elle vivra là-bas avec sa compagne, Grace Frick jusqu’à sa mort. Elle sera naturalisée américaine bien plus tard.
Violette Leduc
Violette Leduc est une romancière française née à Arras en 1907. Celle qui vécut de nombreuses passions, à la fois pour des hommes et des femmes est connu pour son importante production littéraire. Son roman, Thérèse et Isabelle est un succès à la fois critique et commercial. Il raconte une histoire d’amour lesbienne entre deux jeunes collégiennes pensionnaires.
L’homosexualité féminine s’impose à cette époque
Ces femmes, pour la plupart des riches et issues de milieux privilégiés, ont donné ses lettres de noblesse à la littérature lesbienne francophone. Poétesses ou romancières aimant la sonorité des mots, elles ont repoussé les frontières en donnant à voir et à lire les relations lesbiennes. Pour la première fois, en France, on parle ouvertement de relations amoureuses entre les femmes.
Surtout, ce sont des femmes qui lèvent le voile sur une partie de leur vie. Une première d’autant plus marquante que par la suite, les hommes vont s’emparer du sujet du lesbianisme, pas forcément pour le meilleur…
Les pulp fiction destinées à séduire le public masculin tout en rendant l’homosexualité féminine terrible se développe dans les années 50-70.
L’avalanche américaine :
Les pulp fictions sont nées aux Etats-Unis et se sont vendues par millions. Ces publications peu coûteuses, considérées de basse qualité, ont connu leur âge d’or à cette époque des années 50-70. Fait intéressant, il existe des « lesbian pulp fiction », c’est-à-dire des romans de poche au contenu ouvertement lesbien.
Comme à l’époque très peu de romans publiés traitent de l’homosexualité féminine, les éditeurs généralistes qui proposent à la fois de la science-fiction, du fantastique ou du polar, vont se lancer sur ce genre-là. Mais il y a des obligations et un contexte général à maintenir. Les histoires doivent présenter des relations sexuelles fantasmées, une relation fem/butch stéréotypée, et mal se terminer. Beaucoup de ces relations lesbiennes ont en effet été écrites par des hommes, pour un public masculin.
Loin d’un témoignage réaliste, ces productions là veulent plaire à n’importe quel prix au public masculin visé. Peu importe l’image véhiculée.
Les romans de gare en France :
Bien sûr, la France va suivre, avec quelques années de retard et se lancer dans les romans de gare. Même s’il est question de littérature lesbienne francophone, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la littérature de gare. Décriée et considérée comme de la sous-littérature, la littérature de gare propose des romans de poche courts et peu chers destinés à occuper les voyageurs pendant leur trajet en train.
Tous les genres sont accessibles, la romance, le polar, l’espionnage et bien d’autres. Le but est de retenir le lecteur, de le surprendre et de le faire vibrer. Il n’est donc pas surprenant que nombre de ces histoires intègrent des lesbiennes ou des relations lesbiennes. L’un des spécialistes du genre, en France, est Guy de Cars.
J’avoue avoir de mon côté lu les romans policiers de Jacques Sadoul mettant en scène le personnage de Carol Evans, une agente de la CIA lesbienne. Si les livres seront publiés dans les années 80 et 90, son auteur, fan des pulp, a repris une partie de ce qui a rendu le genre célèbre. J’avais dégoté les livres dans la bibliothèque de mes grands-parents avec une immense fierté et un petit côté sulfureux…
La première représentation lesbienne en fiction :
Ce qu’il faut garder en tête, c’est que ces histoires représentent les premières fictions mettant en scène des personnages ouvertement lesbiens. Comme dans le cinéma ou les séries télévisées, les stéréotypes étaient nombreux. Mais il faut bien retenir, c’est qu’à cette époque, l’homosexualité était considérée comme un crime…
Entre 1970 et 1990, la France se concentre sur les essais littéraires.
Cette période est marquée, d’un point de vue littéraire, par l’œuvre d’Elula Perrin. Difficile d’ignorer cette autrice, née en 1929 à Hanoï devenue une figure de la nuit lesbienne parisienne avec sa discothèque, le Katmandou. En 1977, elle publie le livre autobiographie, Les Femmes préfèrent les femmes chez Ramsay. Puis enchaîne de nombreux autres titres.
Hélène de Monferrand publie, quelques années plus tard, les Amies d’Héloïse qui obtient le prix Goncourt du premier roman.
À cette époque, post mai 68, les histoires sont teintées de politique et abordent la libération de la femme et le désir d’égalité. Le style se veut très soutenu. On n’est pas dans du divertissement, on est dans de l’enseignement, de la réflexion.
Le livre/thèse de Marie-Jo Bonnet parut en 1981 sous le titre Un Choix sans équivoque et republié en 1995 sous le titre le plus connu, à savoir Les relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XVIIIe siècle en est le parfait exemple.
L’identité lesbienne se construit, se politise, les revendications naissent, se font entendre.
La fiction lesbienne se développe et enrichit la littérature lesbienne francophone à partir des années 90.
Dans les années 90, les grandes maisons d’édition élargissent leurs catalogues et ne craignent plus de s’intéresser au sujet de l’homosexualité féminine. On peut citer de nombreuses autrices, mais aucune ne remporte autant de prix littéraires que Nina Bouraoui pour ses différentes œuvres.
Et puis surtout, en France, naissent les premières maisons d’édition ouvertement lesbiennes. Les éditions Gaies et Lesbiennes en premier, en 1997, qui publient à la fois des ouvrages lesbiens et gays. Puis KTM Editions voit le jour en 1998 et ne propose que du lesbien écrit par des femmes. La Cerisaie, de son côté, apparaît en 2002 et ferme six ans plus tard, en 2008.
Le catalogue s’enrichit, l’écriture se diversifie, les sujets se modernisent. Désormais, presque tout est accessible grâce à ces maisons d’éditions LGBT. Du polar en passant par la romance ou le livre historique.
Les maisons d’édition lesbiennes se spécialisent et se diversifient.
Dans les années 2000, les dernières barrières sont repoussées avec l’arrivée de la science-fiction lesbienne et du fantastique lesbien. Maintenant les femmes peuvent être des vampires, des loups garoux, des sorcières. Elles peuvent être lesbiennes, avoir une fin heureuse et sauver le monde au passage.
Depuis quelques années, Dans l’Engrenage et KTM Editions se concentrent toutes les deux sur la traduction de romans anglophones. De quoi découvrir de grands noms de la fiction lesbienne. Chez Reines de Cœur, nous avons quelques traductions, mais nous nous concentrons principalement sur la découverte de jeunes talents francophones. Et nous avons de la chance, si nous en avons une majorité venant de France, nous avons aussi des Suisses, des Belges et des Canadiennes. De quoi ouvrir encore plus l’horizon de la littérature lesbienne francophone dans les années à venir.
Un genre qui commence à se faire une place
Depuis 2020, les genres littéraires se démocratisent davantage, en particulier dans la littérature young adult. De grandes maisons d’édition comme Lumen et Hachette ont commencé à traduire des titres phares anglophones, au succès incontesté. Avec des romans comme « I Kissed Shara Wheeler » de Casey McQuiston et « Afterlove » de Tanya Byrne pas de risque de déplaire à leur public.
Ces publications ont en effet trouvé un public enthousiaste et ont aidé à contribuer à normaliser les récits LGBTQ+ dans la littérature pour jeunes adultes. Célébrant ainsi la diversité et explorant les réalités de l’expérience lesbienne, offrant des représentations positives et variées.
Grâce à ces avancées, la littérature lesbienne est plus accessible. La diversité des genres – du fantastique à la science-fiction, en passant par la romance et le polar – témoigne de la richesse et de la vitalité de cette littérature. Et, au-delà des genres, c’est la profondeur et la complexité des histoires lesbiennes qui commencent à captiver à d’inspirer.
Il n’y a plus qu’à espérer que l’initiative se propage aux maisons plus imposantes et touche des récits plus New Adult. Mais surtout que l’opportunité s’étende aux auteurices francophones pour ne plus seulement viser les « têtes d »affiches » ou les « best-sellers » anglophones. Ainsi, la littérature lesbienne pourra continuer à se développer, à inspirer et à refléter les multiples facettes de l’expérience humaine.
Article super intéressant ! Merci Isabelle pour ce beau résumé.
Je me rends compte que je ne connaissais pas la moitié du quart de ce que tu racontes ici… Honte sur moi… 😮
Merci pour cet article qui déclenchera peut-être une saine curiosité chez les lectrices . Il y a beaucoup d’autres auteures francophones, mais avec internet il suffit de chercher un peu pour les curieuses de l’histoire littéraire (ou l’histoire tout court) des lesbiennes. Celles citées dans l’article sont un bon début.
Vos articles sont toujours très intéressants