À l’origine du crime : Rencontre avec Roxane Oyer
Bonjour Roxane ! Après une belle romance en prison avec Porte 513, tu nous proposes aujourd’hui, un polar teinté d’une histoire d’amour entre femmes. Peux-tu nous parler de WhiteChapel ?
Bonjour à toutes et à tous. Après avoir traité l’incarcération, je me disais que revenir à la source et donc au crime était logique (rires).
Petit pitch donc :
Londres 1888, l’inspecteur Carlisle, récemment veuf, reprend du service après quatre mois d’absence. On lui confie la mission officieuse d’enquêter sur les premiers meurtres d’un mystérieux tueur qui sévit dans le quartier malfamé de WhiteChapel.
En parallèle de cette investigation, nous suivons Helen, sa sœur. Elle s’est installée chez lui pour l’aider à s’occuper de sa fille devenue difficile depuis le décès de sa mère. En charge de son éducation, Helen recrute un précepteur peu commun : une femme du nom de Rachel au charme indéniable.
Il s’agit donc d’un double roman : une enquête policière sur l’un des plus célèbres tueurs et une romance qui s’installe dans cette époque victorienne.
Un roman lesbien policier qui se déroule à l’époque de Jack l’Éventreur à Londres à l’époque victorienne…
Comment est née l’envie d’écrire sur la période de Jack L’Éventreur ?
Ce roman est né d’un exercice de MasterClass d’écriture que j’ai fait il y a quelque temps déjà.
J’ai toujours été fascinée par les tueurs en série. En effet, j’aimerais être en capacité de comprendre leurs motivations, mais aussi leurs influences sur leurs contemporains. J’ai donc choisi le plus emblématique d’entre eux pour ce texte et donc de situer l’action en 1888 à Londres. Je voulais surprendre dans cet essai.
La nouvelle que j’avais écrite (qui n’avait rien de lesbien et parlait d’une enfant qui deviendra ensuite la Cassie du roman) a tellement plu à mon alpha-lectrice avec qui je travaille que nous avons décidé d’en faire un vrai roman.
Nous avons gardé l’univers et la même petite famille Carlisle. Et nous y avons introduit une romance lesbienne, puis avons étoffé l’enquête sur Jack l’éventreur, et voilà, WhiteChapel était né.
Pour l’anecdote, le titre original du projet était Whitechapel Murder. Comme il était un peu long, quand nous parlions du roman nous parlions de WCM et il m’a fallu des mois pour réaliser qu’à l’oral je disais VCM. (gêne)
Des recherches, des recherches et des recherches !
Est-ce que tu as dû faire beaucoup de recherches pour coller à la période, aux véritables meurtres, etc. ?
Ce roman est celui sur lequel j’ai dû faire le plus de recherches car, à mes yeux, quand on part de faits historiques, on se doit d’être au plus proche de la réalité. Par chance ce tueur a fasciné depuis qu’il a sévi, son “œuvre” est donc très documentée.
J’ai dû établir des fiches pour les meurtres, une frise chronologique, trouver des rapports d’autopsie et même accéder aux photos des victimes (beurk).
Les experts sont actuellement unanimes sur le nombre de victimes du tueur (victimes dites canoniques), qui ne s’élèverait finalement qu’à cinq femmes (cinq de trop évidemment mais on est loin des records d’autres tueurs). En replaçant ces meurtres odieux dans un contexte de nombreuses agressions féminines dans ce quartier et d’autres meurtres eux aussi non élucidés, la réputation de ce tueur a dépassé l’entendable, le rendant « célèbre » plus que de raison. Il faut admettre aussi qu’il se jouait des autorités en les provoquant avec des lettres, ce qui a divisé la population londonienne de l’époque.
Quant à son identité, de nombreuses théories courent encore et j’ai tâché d’en inclure quelques-unes dans le texte. Une soi-disant analyse génétique aurait démasqué le tueur il y a quelques années, mais les résultats sont très contestés par la communauté scientifique et personnellement je n’y crois pas non plus.
Dans cette rencontre avec Roxane Oyer, découvrez l’évolution de son écriture
Ton écriture est différente dans ce roman, plus travaillée, plus bourgeoise des années 1800. C’est volontaire ?
Oui et non. Je n’ai pas fait d’effort particulier pour changer mon style, disons qu’il m’est naturellement venu compte tenu du sujet abordé.
Un roman avec un fond historique se doit de respecter les codes de l’époque qu’il traite. Je ne pouvais décemment pas faire parler mes personnages avec le jargon familier du XXIème siècle, ça n’aurait pas eu de sens. De la même façon, je ne pouvais pas avoir des dialogues soutenus et un texte trop contemporain.
Pour être la plus cohérente possible, j’ai dû faire des recherches sur le style vestimentaire de l’époque, sur la position de la femme, sur la nourriture anglaise, sur les salaires etc… la liste est longue, c’était très instructif.
Tout cela amène donc un vocabulaire adapté et plus soutenu que sur mon dernier roman qui était contemporain.
Sans oublier le fait que j’ai repris les véritables lettres de Jack l’Eventreur avec toutes les fautes d’origine… que tout le monde a voulu me faire corriger : Isabelle lors du travail éditorial, Marina lors de la correction et toutes les lectrices qui ont lu mon livre en avant-première. Alors, je vous le promets, les fautes dans les lettres sont volontaires et historiquement réelles (rires).
Pour la blague, nous avons d’ailleurs décrété avec mon alpha, que j’étais plus à l’aise dans l’historique que dans le contemporain (rires).
De la difficulté de marier faits historiques et fiction
Qu’est-ce qui est le plus dur quand on mêle faits historiques et fiction ?
De canaliser nos envies ! (rires). Non sérieusement, je dirais de rester le plus fidèle aux faits.
En tant qu’auteure nous avons souvent le cerveau en ébullition et mille idées qui fusent de partout. J’avais ici une contrainte énorme ; celle des meurtres réalisés par Jack. Nous en connaissons les dates précises et ils sont en fait très rapprochés. Cela ne m’arrangeait pas du tout vis-à-vis de l’évolution que je voulais donner à chaque personnage. J’ai tout de même réussi à tout concilier dans le temps (merci ma frise chronologique).
Je dois cependant avouer avoir pris UNE grosse liberté historique, j’ai inventé un festival qui n’a pas réellement eu lieu. Pour le reste, les noms sont les bons (les victimes, l’inspecteur en charge officielle de l’enquête, certains suspects…), les lieux aussi, les descriptions des meurtres, les réactions de la presse etc…
Rencontre avec Roxane Oyer et les femmes de son roman…
Peux-tu nous parler des deux femmes qui tiennent un rôle important dans ton histoire ? Et non, on ne parle pas de Cassie !
Helen est une couturière célibataire. Indépendante et autonome, elle accepte de donner un coup de main à son frère lors du décès de son épouse, notamment pour canaliser la petite Cassie. Cette blonde aux yeux noisette a un fort caractère.
Comme toute anglaise de bonne famille, Helen est très à cheval sur les règles de bienséance. Toutefois, libre penseuse, elle ne partage ses opinions qu’avec les proches en qui elle a véritablement confiance.
Rachel, quant à elle, est la nouvelle préceptrice de la petite Cassie. Étrangère, elle vit cependant en Angleterre depuis plusieurs années déjà, mais a gardé un petit accent séduisant. Elle aime bousculer les convenances et casser les codes, en exerçant notamment un métier d’homme. Brune aux yeux verts et très intelligente, elle intrigue autant qu’elle fascine.
Toutefois, je tiens à faire la pub de mes autres personnages qui ont tous été très travaillés avec une véritable identité et une histoire. Tous ont leur place, à commencer par Andrew, l’enquêteur ainsi que son meilleur ami Irlandais Alistair. La petite Cassie ainsi que le majordome Bill ne sont pas en reste et encore bien d’autres évidemment…
La place des femmes, l’homosexualité féminine, etc…
Faire vivre une romance lesbienne à une époque où l’homosexualité était condamnée, c’est dur, non ?
L’amour est partout depuis la nuit des temps et ce quels que soient les obstacles. Il s’agit donc simplement de garder ces amours naissantes à l’abri des regards indiscrets. Faire réunir les protagonistes dans des lieux où elles seront seules, rappeler le danger inhérent à ces situations.
De plus, l’illégalité de la chose rend aussi la relation plus excitante, plus intense, on s’inquiète autant qu’on se passionne pour le potentiel couple.
Est-ce un livre féministe ? Rencontre avec Roxane Oyer pour savoir ce qu’elle en pense
Il est beaucoup question dans ton histoire de la liberté des femmes, de l’égalité des droits, des métiers accessibles ou non. Tu dirais qu’il est féministe ?
Je suppose qu’il peut être pris comme tel. Je n’ai pourtant eu aucune volonté en ce sens.
Lorsque je m’immerge dans un texte et notamment dans une époque, j’essaye d’être le plus fidèle possible. De ce fait des différences évidentes apparaissent avec nos temps modernes.
Je pense qu’il a fallu bien du courage à de nombreuses femmes de cette époque pour oser défier les lois patriarcales, mais aussi un certain soutien de leurs proches masculins qui eux avaient le pouvoir de faire évoluer les mentalités ainsi que les règles. Qu’on parle de droits des femmes ou de sexualité, c’était un parcours du combattant en ce temps-là. Je suis bien heureuse de vivre à notre époque et en France. (c’est quand même plus facile de rencontrer quelqu’un quand on ne risque pas de se faire tuer pour un baiser)
J’ai évidemment choisi des héroïnes fortes. La première refuse de se plier à l’obligation du mariage et poursuit son activité professionnelle sans supervision masculine. La seconde est devenue une érudite malgré la conviction de l’époque qui voulait que chacun des deux sexes ait un rôle bien défini à tenir dans la société.
Une fin qui tient en haleine et révèle un sacré suspens…
Sans trop en révéler sur la fin du roman, elle est assez différente de ce qui est proposé d’habitude dans les romances F/F. Après Porte 513, est-ce qu’on peut dire que tu aimes bousculer les lectrices ?
Quand je lis un livre ou regarde un film, j’aime que celui-ci me surprenne, voire me sorte de ma zone de confort. Les fins attendues sont confortables et je les apprécie, toutefois j’aime aussi couper le souffle et provoquer toutes sortes de réactions chez mes lectrices et lecteurs. (rire sadique).
J’espère que celle-ci amènera quelques profondes réflexions et j’ai même hâte d’en discuter avec les lectrices et lecteurs à l’occasion.
Une question qu’on ne pose pas souvent : est-ce que tu t’es amusée en écrivant cette histoire ? Et comment pourrais-tu donner l’envie aux lectrices et lecteurs de découvrir ton travail ?
J’ai tout simplement adoré écrire cette histoire ! À tous points de vue ! M’immiscer dans la tête d’un tueur, me plonger dans un univers inconnu, apprendre sur de nombreux sujets (la fabrication des scones ou combien était payé un ouvrier en 1900…) c’était fascinant !
J’ai même alterné les styles, avec des parties à la première personne pour que Jack s’exprime et le reste à la troisième personne pour conter l’histoire.
Connaissant la fin dès le début de l’écriture, j’ai pu véritablement m’amuser dans la construction du roman pour tenter de perdre les lecteurs, lancer des pistes ou faire des clins d’œil qu’on ne remarquerait qu’en seconde lecture.
Quelques scènes clés ont été mille fois travaillées pour être – je ne dirais pas parfaites, il ne faut pas abuser – mais le plus juste possible.
Il est difficile de totalement vous exprimer mes joies dans ce roman sans spoiler ce qu’il contient, mais ça a souvent été jubilatoire oui.