Leçon du jour : Ne pas laisser les lutins gagner
Pour cette nouvelle journée qui démarrait, Christy avait convoqué Reine devant le majestueux entrepôt en bois des elfes. Il était 8 h 30. L’apprentie mère Noël était sur place depuis une vingtaine de secondes lorsque la Commandante arriva. Aussitôt, Reine perçut en elle une tension nerveuse qui n’existait pas hier. D’humeur malicieuse, elle se demanda si elle parviendrait à la faire disparaître en retirant à nouveau ses vêtements. Son tatouage aurait-il sur sa mentore le même effet que la veille ?
Cette pensée fit naître un petit sourire coquin sur ses lèvres, ce qui eut pour effet d’accrocher immédiatement les yeux bleu glacier face à elle.
Mmh, quelle réactivité ! apprécia Reine intérieurement.
— Hé, ho ! Tu arrêtes d’essayer de la perturber ! Tu vas finir par nous l’énerver encore plus ! Elle est déjà à fleur de peau ces jours-ci, lança Unicœur en apparaissant soudainement d’on ne savait où.
Tiens, te revoilà. Je croyais que tu avais disparu ! Et on avait dit que tu ne lisais pas dans mes pensées ! songea Reine, qui refusait de parler à voix haute de peur d’effrayer Christy.
— Je sais, je t’ai manqué. Mais sache que le noble et flamboyant Esprit de Noël que je suis n’est jamais bien loin, ma peti…
— Aujourd’hui marque une étape importante de ta formation. Primordiale, même, annonça Christy sans se douter du dialogue mental qui occupait Reine. Tu vas passer la journée avec mes équipes de lutins. Il ne s’agit pas d’un entraînement. Ton objectif est de commencer à créer des liens avec eux. Je veux que vous appreniez à vous connaître, que tu saches qui ils sont et inversement. Les lutins qui travaillent ici se donnent corps et âme pour Noël, et pour celui qui le représente dans le monde entier…
— Celle, bientôt, rectifia Reine, pleine de détermination.
L’elfe acquiesça d’un ferme hochement de tête avant de continuer.
— Ils ont besoin d’être certains que la mère Noël s’impliquera tout autant qu’eux, avec cœur et enthousiasme. Ils doivent pouvoir compter sur elle et avoir foi en elle. Ne va surtout pas croire que tu les as ralliés à ta cause en leur promettant ton siège au Conseil des cadeaux et l’amélioration de leurs conditions de travail. C’est tout à ton honneur, mais, pour le moment, ce ne sont que de belles paroles pour eux.
— Ils verront bientôt que je tiens toujours mes promesses, affirma Reine alors qu’elle se remémorait ses interactions avec les lutins depuis son arrivée.
Même si elle les connaissait encore trop peu, Reine pensait pourtant que les choses étaient parties sur un bon pied avec eux. Cela dit, elle savait également qu’il en fallait bien davantage pour gagner la confiance de qui que ce soit. La confiance ne se construisait pas en un seul jour. Quoi qu’il en soit, elle avait très envie de se lier à eux et qu’ils se lient à elle pour créer une connexion puissante grâce à laquelle, ensemble, ils seraient capables de déplacer des montagnes. De cadeaux, notamment.
— Et c’est pareil en ce qui te concerne, ajouta Christy. Je reste leur Commandante, mais il est fondamental que tu découvres leur personnalité, comment ils fonctionnent, quelles sont leurs compétences, ce que tu peux leur demander ou non. Pour réussir parfaitement ta mission de mère Noël, tu dois être en osmose avec les équipes, et c’est en passant du temps avec elles que cette relation s’établira. Habituellement, tout cela se met en place durant la longue formation du père Noël. Malheureusement…
Christy ne pouvait pas la voir. Seulement, tandis qu’elle parlait, la minuscule licorne voletait autour de sa tête.
— Rolalaaa ! Qu’est-ce qu’elle blablate ! On a pigé l’idée, on n’est pas complètement débiles, marmonna la bestiole.
Reine se retint d’acquiescer, mais le pensa si fort qu’Unicœur ricana.
— Tu te rends compte qu’avec Merry dans la course, nous ne pouvons plus nous permettre de… continuait Christy à grand renfort de gestes pour appuyer ses dires.
— Commandante, l’interrompit la noëlfienne, je comprends et je suis entièrement d’accord avec tout ce que tu viens de dire. Et si on y allait ?
La bouche restée ouverte, l’elfe lui adressa un regard surpris. Puis elle sembla prendre conscience de quelque chose et ses épaules se détendirent subitement. Elle ferma les yeux, baissa le menton, secoua doucement la tête avec un petit sourire en coin et murmura des mots que Reine n’entendit pas.
— Excuse-moi, reprit-elle. Je laisse Merry et ses manigances m’atteindre. Tu as raison, mettons-nous au travail !
Sa formatrice fit demi-tour et partit d’un pas résolu en direction de l’entrepôt des lutins, dans lequel elle s’engouffra.
— Tu as entendu les mots qu’elle a chuchotés, toi ? demanda Reine à Unicœur avant de prendre la même direction.
— Mouais, lâcha-t-iel avec nonchalance, tout occupé·e qu’iel était à admirer sa longue crinière blonde qui ondulait sous l’effet de la brise matinale. Elle a dit : « Évidemment qu’elle comprend. » Et si tu avais pu entendre ses pensées pleines de fierté, tu te serais lancée dans une danse de la joie endiablée.
— Ah oui ? s’emballa l’apprentie mère Noël. Et, heu, elle a juste pensé ça ou alors elle…
Reine s’immobilisa tout à coup, se tourna vers la licorne et la fixa en étrécissant dangereusement les yeux.
— Dis donc, toi ! Tu ne m’as jamais dit que tu pouvais lire les pensées de Christy !
Sortant subitement de sa contemplation, Unicœur tenta de lui opposer un regard de pure innocence et d’incompréhension. Sauf que, et de un, iel venait clairement de balancer une info si croustillante qu’iel allait forcément déclencher une vague ininterrompue de harcèlement, et de deux, Reine n’était pas du genre à se faire avoir par sa fausse candeur.
— Oh, oh ! marmonna-t-iel en amorçant un discret vol de recul.
— Tu sais si je lui plais, alors. Tu sais ce qu’elle pense de moi. Est-ce qu’elle nous a déjà imaginées, elle et moi, en train de… Hé ! Attends ! cria Reine en essayant vainement de lae rattraper. Où tu vas ? J’ai plein de questions !
***
Sachant que Christy l’attendait, Reine avait rapidement laissé tomber la poursuite de son « fichu Esprit de Noël » pour rejoindre sa formatrice. Face à elle, au sein de l’atelier « bois », elle avait du mal à se concentrer et à considérer la Commandante sans que des images perturbantes viennent envahir ses pensées. Cette femme magnifique à la carapace en béton armé – que Reine rêvait de fissurer – avait-elle des pensées inavouables la concernant ? La noëlfienne l’espérait, car elle-même en avait… et pas des plus pures.
Reine se pinça fort le bras pour parvenir à reprendre pied dans le moment présent. Pincement visiblement pas aussi discret qu’escompté, puisqu’il fut surpris par le lutin à l’air bougon et à l’épaisse moustache noire qui se tenait à ses côtés. Elle récolta un regard suspicieux, puis un brin condescendant.
— Reine, je te présente Jo, notre maître menuisier. Comme tu l’as sans doute deviné, nous nous trouvons dans l’atelier des lutins responsables de la fabrication de tous les jouets en bois.
L’aspirante mère Noël balaya les lieux du regard : des établis sur lesquels une vingtaine de lutins s’activaient sur des pièces en cours, des étalages de planches de différentes essences de bois, des machines de découpe, des outils, et cette merveilleuse odeur de forêt qui lui titillait délicieusement les narines.
— Ravie de te rencontrer, Jo. Cet endroit est impressionnant.
La sincérité du ton de Reine et les étoiles dans ses yeux décrispèrent, l’espace de quelques trop courtes secondes, la profonde ride du lion de Jo.
— Mmh, ronchonna-t-il. El’vient.
Il fit volte-face et s’éloigna vers les établis. Pas sûre d’avoir bien compris, Reine se tourna vers Christy, qui lui adressa un sourire amusé et, de la main, lui indiqua de suivre monsieur Moustache, la laissant à ses bons soins. Le chef lutin costaud et trapu l’emmena vers une table sur laquelle trônaient une demi-douzaine de classeurs massifs.
— S’pas compliqué, dit-il avec un fort accent dont elle fut bien incapable d’identifier la provenance. Ceux-là qui s’amusent à déchiffrer les bafouilles des ch’tios à l’atelier « courrier », y nous disent les jouets qu’on s’doit d’fâre. Et nous, bah, on les fât. Avec ça.
Il attrapa l’un des classeurs et l’ouvrit en faisant lentement défiler les pages. Reine découvrit tous les plans pour fabriquer un cheval à bascule, un petit tricycle, des jouets de construction, des animaux, une poussette, un chariot, et des tas et des tas d’autres objets.
— Bon sang ! s’enthousiasma-t-elle. Vous êtes capables de tout fabriquer, c’est absolument génial !
Il opina de la tête, fit signe à Reine de le suivre et se retourna pour se diriger vers un groupe de quatre lutins en plein travail.
— Là, y sont en train d’reproduire à l’dentique le cabot d’un p’tiot.
L’une des lutines interrompit sa tâche et se tourna vers elle, une ponceuse électrique à la main.
— C’est pour un petit garçon de six ans. Il a perdu sa chienne récemment. Dans sa lettre, il a demandé : « Au cas où le père Noël aurait le droit d’aller se promener au paradis des chiens, est-ce qu’il pourrait faire un câlin à ma Vadrouille de ma part ? » Alors, on a tous décidé de lui fabriquer une réplique de sa louloute, en espérant que ça apaisera un peu sa peine.
Reine se pencha sur le magnifique canidé marron aux longues oreilles pendantes qui se dressait sur l’établi et au pied duquel une photo de l’original était posée. Elle la scruta un instant, puis se redressa, impressionnée.
— Il lui ressemble comme deux gouttes d’eau ! Vous avez fait un super travail, cet enfant va être très heureux, c’est certain !
Cette fois, ce fut dans les yeux des quatre lutins que les étoiles s’allumèrent.
Lorsque Reine quitta l’atelier du bois, après être passée auprès des cinq autres équipes pour les observer travailler et discuter avec elles, elle obtint plusieurs sourires et gestes sympathiques de la main. Malheureusement, elle avait aussi senti des regards qui, sans être hostiles, étaient clairement méfiants. Elle savait que certains étaient pro-Merry, mais peu lui importait, elle continuerait d’avancer. Cependant, ce fut lorsqu’elle reçut pour la deuxième fois, d’une provenance non identifiée, une poignée de poussière de bois en plein visage et toussa à s’en décoller les amygdales qu’elle se décida : elle sortit son smartphone et rédigea un SMS.
***
Alors que Reine se dirigeait vers un autre atelier, Christy surgit à ses côtés.
— Maintenant, on va par là, lui imposa-t-elle en agrippant son bras et en la tirant vers la droite.
Elle la fit entrer dans une vaste pièce où une trentaine de lutins étaient répartis en plusieurs sous-groupes.
— Nous sommes dans l’atelier des jouets électroniques et électriques. Voici Foudre, la cheffe d’équipe.
Une jolie lutine aux cheveux bleus lui tendit la main avec un grand sourire.
— Bienvenue à toi, Reine ! Si tu aimes les circuits de trains électriques, les tablettes interactives pour enfants et les robots amusants, tu es au bon endroit !
Accompagnée de Christy, Foudre fit tourner Reine entre les sous-groupes. Les lutins lui décrivirent avec un enthousiasme évident les différentes tâches dévolues à chacun. Ici, la conception des éléments électroniques, là, l’assemblage du jouet, plus loin, dans une salle insonorisée, les tests. Alors qu’elles venaient d’entrer dans cette zone où œuvraient une dizaine de personnes, Christy cria et la poussa en protégeant sa tête de ses mains. L’aspirante mère Noël ne comprit pas ce qui arrivait, mais entendit un vrombissement s’approcher à quelques centimètres au-dessus d’elle. Un fort souffle d’air dans ses cheveux lui confirma que quelque chose venait de la frôler. À en croire le bruit, il s’éloignait maintenant à toute vitesse.
— Au nom du Grand Noël ! se lamenta Foudre. Je suis désolée, Reine, le drone n’était pas censé te foncer dess…
— Maverick ! hurla Christy à un jeune lutin qui se trouvait à l’autre bout de la pièce. Si tu n’arrêtes pas tes bêtises immédiatement, je dis à tout le monde de t’appeler par ton vrai prénom, c’est bien compris ?
Le sourire frondeur du surnommé Maverick s’éteignit aussitôt. Un silence soudain s’installa alors que toutes et tous se tournaient vers lui. Trois secondes plus tard, un éclat de rire général explosa dans la salle. Le garçon reposa la télécommande du drone en adressant des grimaces vexées à ceux qui le montraient du doigt en riant et en subissant les grandes claques dans le dos que d’autres lui assénaient, hilares.
— C’est quoi, son vrai prénom ? demanda Reine.
— Gollum, ricana la lutine. Il le déteste !
— Et Maverick, précisa Christy, eh bien, disons qu’en tant que pilote de drone, excellent soit dit en passant, notre jeune recrue a un peu tendance à se prendre pour un pilote tout court.
Reine eut toutes les peines du monde à se retenir de rire. Elle ne voulait pas que les lutins s’imaginent qu’elle se moquait d’eux.
— Ses parents sont adorables, mais ils ont un sens de l’humour un peu particulier, ajouta la Commandante, dont les yeux pétillants laissaient deviner son amusement.
***
L’après-midi se passa de la même manière. Reine découvrit beaucoup d’autres ateliers : celui des textiles, responsable notamment des robes, habits de poupée, vêtements de sport et déguisements, où elle retrouva avec plaisir Bobine, Aiguille et Pelote, rencontrées la veille ; celui des instruments de musique ; celui des sports ; celui des jeux d’éveil…
Deux autres de ses visites furent ponctuées de petits incidents mineurs dont elle était systématiquement la cible. Rien de bien méchant : un pistolet à eau qui se déclencha étonnamment tout seul et dont elle faillit prendre une giclée dans le dos, un Frisbee qui surgit, mais qu’elle réussit à attraper sans difficulté, des ballons de foot qui déboulèrent et rebondirent devant elle au risque de la faire tomber. Heureusement, après les ateliers du bois et de l’électronique, elle se tenait sur ses gardes et put esquiver sans problème ces petites blagues. Que leur objectif soit de la tester, de l’amuser ou de la faire renoncer à sa quête, peu importait, en vérité, car la grande majorité des lutins lui avaient offert un excellent accueil et cela l’avait sincèrement touchée. Certains d’entre eux se rappelaient même avec émotion ses fréquentes apparitions dans l’entrepôt quand elle était petite et échappait à la surveillance de ses parents.
Cette journée lui permit de découvrir les équipes de façon bien plus approfondie. La forte implication des lutins dans leur travail était évidente. Ils aimaient fabriquer ces milliers de jouets pour petits et grands enfants, et Christy avait raison : ils se donnaient corps et âme dans leur mission. Reine les admirait. Et elle admirait aussi leur grande concentration. Elle devait l’avouer : elle ne s’y était pas attendue, les lutins étant connus pour être farceurs, rigolards, taquins. L’elfe avait été bien inspirée de programmer ces heures en leur compagnie. Reine ne manquerait pas de l’en remercier le moment venu.
Le joyeux et doux chant de Noël qui marquait la fin de la journée de travail venait de résonner. Comme chaque jour, les lutins avaient rangé outils et matériel, et se dirigeaient tranquillement vers la grande salle commune. Christy et ses chefs d’atelier les attendaient pour la clôture officielle du jour et la collation qui la suivait. En apercevant sa mère entrer par l’une des portes arrière de l’entrepôt, Reine lui fit signe de ne pas bouger et de patienter. Agrippée à un grand chariot dont le contenu était recouvert d’une sorte de large plaid, Carol hocha la tête et se positionna dans un coin.
— Chers amis, chères amies, déclara soudain Christy d’une voix forte et chaleureuse. Vos chefs et moi-même vous remercions pour votre excellent travail. À nouveau, vous avez su mener à bien les missions du jour. Je suis heureuse de vous annoncer que, grâce à vous, le retard accumulé en début de mois s’amenuise grandement. Nous avons presque rattrapé la planification et le taux de fabrication des années précédentes.
Tout le monde se mit à applaudir. Des sifflets et des cris de joie retentirent dans l’entrepôt, formant un heureux brouhaha. Reine en profita pour contempler Christy. Sa nervosité avait complètement disparu. La noëlfienne ne l’avait jamais vue aussi rayonnante. Comme si elle avait senti son regard, la Commandante se tourna vers elle et lui offrit le plus beau sourire que Reine ait pu admirer.
Une minute plus tard, alors que le calme revenait lentement, Christy reprit la parole.
— Encore quelques instants, s’il vous plaît. Reine souhaite s’adresser à vous.
Elle tendit le micro à cette dernière, qui s’en empara.
— Oui, je tenais à vous remercier pour votre accueil. Vous observer travailler a été très instructif. J’ai beaucoup appris aujourd’hui, et l’apprentie mère Noël que je suis vous en est très reconnaissante. J’ai pu découvrir avec précision vos différents métiers, votre implication, votre professionnalisme. Sachez que vous êtes impressionnants. Pour vous remercier autrement qu’avec des mots…
Elle fit signe à sa mère d’approcher.
— J’ai fait venir de très loin les meilleurs des bonbons dont raffolent les humains. Régalez-vous !
Son chariot devant elle, Carol avança vers eux, un grand sourire aux lèvres. À nouveau, les lutins lancèrent des cris de joie et se précipitèrent vers elle. Ils se jetèrent sur les Chamallows, les Dragibus, les fraises Tagada, les réglisses, les oursons guimauve…
La journée de travail était officiellement terminée. Christy emmena Reine un peu à l’écart.
— C’est une gentille attention de ta part, nota la mentore. Alors, le programme du jour t’a convenu, apparemment.
— Totalement, Christy. Je te remercie de l’avoir organisé. J’étais loin d’avoir conscience de tout ce que les lutins réalisaient, des compétences qu’ils détenaient. Comme je viens de le dire, cela a été très instructif.
— Bien. Je suis contente, moi aussi. Je crois que cette journée est une réussite. Le chemin est encore long, mais…
— AAAAAH !!!
Alertées par le cri, les deux femmes se retournèrent vers la foule des lutins, qui s’étaient figés. Des « plop-plop » résonnaient de part et d’autre de la salle, suivis d’une exclamation d’incompréhension ou d’un juron.
— Mais, mais… ?
— Oh !
— Bah ! Fiente de pipistrelle ? K’sé k’ça ?
À quelques pas, Jo, le chef menuisier, louchait sur sa moustache, qui s’était mise à pousser et semblait ne plus vouloir stopper sa croissance. Elle atteignait déjà le mètre et continuait de progresser. À côté de lui, Aiguille ne touchait plus terre : elle s’était élevée d’une vingtaine de centimètres au-dessus du sol et ne parvenait pas à redescendre. Un peu plus loin, les oreilles du jeune pilote de drone crachaient des bulles translucides sur ses voisins, qui les chassaient à grands coups de claques. Reine repéra Carol, hilare face à Pain d’épices, dont le nez affichait un volume de plus en plus effrayant. Sa protégée Sneachta le regardait, dubitative, puis elle avança un doigt curieux et appuya sur l’appendice avant d’éclater d’un immense rire qui résonna dans toute la pièce.
Comme un signal de départ, tous les lutins firent de même. Ils hurlèrent de rire, se moquant les uns des autres avant de subir leur propre sortilège. Car, en bons gourmands, tous furent touchés, à la grande satisfaction de Reine. Il faudrait qu’elle remercie les amies que sa mère avait gardées en Laponie, amies fidèles qui possédaient quelques capacités… toutes particulières.
— C’est quoi, ce petit air rusé et ce sourire malicieux ? l’interrogea une Christy amusée, qui l’observait avec un sourcil relevé.
— C’est l’opération VG, répondit Reine, dont le sourire s’agrandit encore.
Jo, qui les avait entendues, cessa aussitôt de rire.
— Vagin ? Pfff, cé quoi, le rapport ? Z’êtes pénibles, vouz’ot’, les féministes. Vous ramenez toujours les choses au niveau du d’sous d’la ceinture !
— Jo, c’est « VG » pour « vengeance », rétorqua Reine, impassible.
— « VG » pour veng… Ah… Bah, fallait qu’el’dise aussi. Pfff !
Il eut quand même la décence de rougir un brin avant de s’éloigner et de s’esclaffer en poussant un lutin de son équipe qui avait gonflé et roulait dans tous les sens sans parvenir à se diriger.
— Bon sang ! gloussa doucement Christy en se frottant les paupières à l’aide du pouce et de l’index. Parfois, c’est dur de se retenir de rire.
— Alors, ris ! Pourquoi te retenir ?
— Parce que je suis leur Commandante et que je dois maintenir le sérieux. Surtout si la future mère Noël est aussi joueuse que les lutins qui travaillent ici…
Elle accompagna sa dernière phrase d’un clin d’œil et Reine sut qu’elle était parvenue à fissurer la carapace.
— Je pense qu’ils te respectent suffisamment pour que, parfois, tu te détendes en leur compagnie. Ils méritent de voir la Christy qui est capable d’éclater de rire comme eux. Je te laisse y penser. J’ai un point final à poser à mon plan.
Reine s’éclipsa après avoir caressé le dessus de la main et les doigts de Christy d’un doux frôlement, en priant que ce geste soit bien accueilli. Elle retourna vers le micro et tenta de se faire entendre par-dessus les rigolades, qui continuaient de résonner dans la salle entière alors que les lutins jouaient à celui qui aurait la transformation la plus exceptionnelle ou la plus dégoûtante. L’énorme nez de Pain d’Ép, déversant maintenant un gel gluant verdâtre, semblait en bonne place pour gagner. À moins que ce ne soient les oreilles de Maverick, dont les bulles avaient viré au jaune cérumen.
— Hey, tout le monde ! cria-t-elle pour attirer l’attention. Vous aviez frappé fort avec les rubans pailletés et la bûche au chocolat à mon arrivée, c’était excellent ! Aujourd’hui, c’est moi qui vous ai eus ! On est à un partout !
Reine passa devant le micro en rigolant et leva les bras au ciel en signe de victoire. Radieux et beaux joueurs, les lutins l’entourèrent rapidement. Certains lui pincèrent la joue comme un aîné le ferait avec sa petite-fille, d’autres lui tapotèrent le dos, lui serrèrent la main avec affection. Elle avait réussi son coup. Quand elle croisa les regards de sa mère et de Christy, côte à côte, elle y lut une fierté qui lui gonfla le cœur.
La gourmandise n’est pas un vilain défaut mais parfois elle réserve des surprises inattendues.
Jo me rappelle Joe Dalton que j’adore.
Reine met les lutins dans sa poche.
Alors, une hotte de Regal’ad bonus pour elle et un macaron géant pour Caroline 🤩🤩🤩❤❤❤
Macaron géant ? Je prends. Même si je préfère les oursons en guimauve 😄. Merci bcp pour ton commentaire 🌟 Joyeux Noël !