19 décembre 2024 (A.M. Brawne)

AM Brawne - Calendrier de Noel

Jour de trêve

Le corps fourbu de Reine réagit au quart de tour lorsqu’une main agrippa son épaule pour la tirer du sommeil. Encore courbaturée de ses péripéties de la veille, l’apprentie mère Noël avait été plus que soulagée de se laisser tomber dans les bras de Morphée et les draps confortables de son lit. Tout ça pour être réveillée avant que son alarme ne sonne.

Le juron qu’elle s’apprêtait à envoyer mourut dans sa gorge lorsqu’elle reconnut sa mère, penchée au-dessus d’elle avec un fin sourire.

— Ma chérie, il est temps de te lever.

— Mais… que ? balbutia la noëlfienne, encore à moitié dans les vapes.

L’expression sérieuse de Carol derrière son sourire lui fit réaliser que les réponses viendraient plus tard. Avec un effort qui lui sembla surhumain – cocasse, pour quelqu’un qui ne l’était pas vraiment –, elle quitta le cocon douillet de ses couvertures et tituba en direction de la cuisine. Heureusement, les effluves combinés de café et de sucre aidèrent son cerveau embué à se mettre en marche.

La table du petit-déjeuner était déjà dressée et le festin qui l’attendait laissa Reine stupéfaite durant quelques secondes. Porridge, pain perdu, crêpes, gaufres, tartines au beurre et à la confiture colorée : un étalage appétissant de sucre s’offrait à elle. Sa mère l’avait à maintes reprises gâtée grâce à ses talents culinaires, surtout ces derniers jours, mais là, quelque chose semblait différent. Plus solennel.

— Tu vas avoir besoin de forces aujourd’hui, se contenta de répondre la cuisinière face au regard interrogateur de sa fille.

— Une épreuve particulièrement physique ? demanda l’apprenante après s’être délectée de la première gorgée de caféine. Ne me dis pas que je vais devoir me battre avec un ours ou un autre animal sauvage…

Après avoir constaté que des cadeaux pouvaient tomber du traîneau, la perspective de devoir les défendre lui avait traversé l’esprit.

— Pas vraiment, pouffa son interlocutrice, toujours aussi mystérieuse sur les raisons de cette offrande généreuse en nourriture.

Reine n’insista pas et avala son repas dans un relatif silence, son esprit foisonnant des possibles péripéties qui l’attendaient aujourd’hui.

Sa surprise fut encore plus grande lorsqu’elle vit que Christy l’attendait, devant leur chalet, en compagnie de Merry. Bien que les deux sœurs se tiennent à distance, le fait qu’elles ne soient pas en train de s’entretuer était déjà un miracle en soi. Aucune des jumelles ne semblait ravie d’être là, mais quelque chose dans leur expression attira l’attention de l’aspirante mère Noël. Le même sérieux qui s’affichait auparavant sur le visage de sa mère.

— Ne me dites pas que quelqu’un est mort ? s’exclama-t-elle, soudainement submergée par un sentiment d’angoisse.

— Mais non, rien de tout ça, lui répondit Carol d’un ton rassurant.

Cette dernière était sortie de leur chalet et se tenait à ses côtés, vêtue d’une tenue civile des plus banales. D’ailleurs, Reine remarqua que c’était également le cas des deux elfes. Si Christy avait opté pour une doudoune et une paire de jeans délavés tout en sobriété, Merry portait un élégant manteau crème, des collants rouges rappelant la couleur de ses cheveux et des bottes blanches. Quelque chose disait à la future mère Noël qu’elle ne mettrait pas son uniforme iconique aujourd’hui, ce qui la rendait encore plus confuse qu’auparavant.

— Le 19 décembre est un jour particulier, reprit sa mère en lui indiquant de la suivre alors qu’elle se mettait en marche vers le bâtiment principal. Noël est une période de joie et de magie, mais également d’introspection et de charité.

Elles traversèrent plusieurs entrées et couloirs, jusqu’à finalement parvenir devant une simple porte blanche qui portait le numéro 19 en écriture noire. Reine était certainement passée devant plusieurs fois sans la remarquer, comme de nombreux autres endroits ici. Il lui faudrait pourtant connaître les moindres recoins de son nouveau lieu de travail, mais combien d’années cela lui prendrait-il ? Si toutefois elle réussissait le test dans deux jours… Secouant la tête, elle tenta de se ressaisir, consciente que le moment n’était pas au défaitisme.

Une fois le battant passé, le petit groupe tomba sur plusieurs lutins en train de s’activer dans une grande pièce, sous la direction de coordinateurs, tandis que d’autres travaillaient derrière des ordinateurs.

— Bienvenue dans la section caritative du pôle, leur lança une lutine à lunettes qui s’était approchée d’elles. Je m’appelle Perce-Neige et je vous attendais. Vos missions du jour seront prêtes d’ici quelques instants. Vous pouvez déjà vous diriger vers le portail.

— Missions ? Portail ? interrogea Reine en direction de Carol.

Ce fut cependant Christy qui lui répondit :

— Le travail de distribution de cadeaux ne doit pas faire oublier au père – ou à la mère – Noël que beaucoup d’enfants et d’adultes ne passent pas les fêtes dans des conditions décentes. C’est même une des périodes les plus dangereuses pour les personnes vulnérables ou seules. Chaque 19 décembre, la coutume veut que nous nous engagions pour aider les plus défavorisés. De même, la section 19 est dédiée à l’aide en faveur de nombreuses associations caritatives à travers le monde. Le portail permet de se déplacer directement dans les lieux assignés.

— Je vois… se contenta de répondre l’apprentie, un peu honteuse de ne pas y avoir songé plus tôt, toute concentrée qu’elle était sur son entraînement.

Le discours de Christy avait été prononcé avec un tel dévouement qu’il était évident que cette cause lui tenait à cœur. Y avait-il une histoire derrière cette ferveur ? Ou peut-être était-ce simplement l’expérience qui parlait. L’elfe n’en était pas à sa première préparation du 19 décembre et elle avait dû être témoin de nombreuses situations dramatiques.

Cette démonstration d’empathie de la part de sa superviseure la montrait sous un autre jour. Reine se surprit à admirer cette qualité, d’autant plus que la passion qui transparaissait dans ses paroles rendait Christy particulièrement belle. Et, à en croire les papillons dans son ventre, l’apprentie mère Noël n’y était pas insensible. La pensée eut à peine le temps de traverser son esprit qu’elle se sentit encore plus méprisable. Elle se pinça afin de revenir aux considérations plus nobles de son défi d’aujourd’hui.

La noëlfienne comprenait mieux l’attitude de sa mère et des jumelles : la journée ne se prêtait pas vraiment à la plaisanterie, même pour Merry, qui semblait avoir laissé derrière elle ses rancœurs et son attitude extravertie.

Devinant sans doute ses pensées, l’intéressée lui lança avec un sourire en coin :

— N’oublie pas que je suis aussi dans la course pour le poste. Pas de compétition entre nous aujourd’hui, mais on me jugera également sur mes résultats pour cette épreuve.

Voilà qui avait le mérite d’être clair.

Leur petite troupe s’arrêta devant une estrade qui menait à une sorte de demi-arceau en branches de sapin d’environ deux mètres de haut. Un lutin était occupé à taper sur une console juste à côté, paramétrant sans doute les réglages de ce qui devait être le portail. Un fan de Stargate, peut-être, ne put s’empêcher de penser Reine avec un petit sourire.

Perce-Neige revint rapidement vers elles avec plusieurs dossiers en main. Elle en tendit un à Reine, puis un autre à Merry.

— Première équipe, Reine et Christy : distribution de nourriture et de biens de première nécessité à Londres. Deuxième équipe, Merry et Carol : distribution de vêtements chauds pour les sans-abris à Paris.

Derrière elles, plusieurs lutins faisaient la queue avec des chariots remplis de caisses, prêts à les suivre. Après avoir feuilleté son dossier, l’aspirante mère Noël apprit qu’il s’agissait de différents matériaux et de nourriture dont elles allaient faire don durant cette journée.

Suivant la Commandante en cheffe, qui était aujourd’hui sa partenaire, Reine se positionna devant le portail et lança un dernier regard vers sa mère. Cette dernière ne semblait pas gênée de devoir seconder sa rivale et lui adressa un sourire rassurant. Le lutin derrière la console leur indiqua que tout était bon et un courant électrique se matérialisa devant leur nez. Un frisson parcourut l’échine de la noëlfienne et le doute s’insinua en elle. Qu’est-ce qui l’attendait derrière ce portail ? Pouvait-elle vraiment se targuer de représenter la famille Noël au mieux ? C’était une telle responsabilité : en était-elle seulement capable ?

Avant qu’elle ne puisse céder à l’angoisse qui s’insinuait en elle, une main attrapa fermement la sienne pour la tirer en avant. Reine cligna des yeux. Un bref courant d’air et un changement de température lui indiquèrent qu’elle avait quitté l’espace 19 et que le passage avait fonctionné. Son regard croisa celui, rassurant, de Christy.

— Tout va bien se passer. Sois naturelle, comme tu l’es d’ordinaire.

Perdue dans ses yeux, l’apprentie mère Noël se surprit à acquiescer. Si celle qui la coachait depuis un peu moins d’un mois avait confiance en elle, alors elle y croyait également.

Elle continua à fixer l’elfe plus longtemps que nécessaire, une prolongation qui ne sembla pas déranger l’intéressée. L’échange d’un timide sourire s’ajouta à cet instant partagé et il fallut un raclement de gorge particulièrement sonore de la part d’un lutin pour que Reine revienne à la réalité.

Elle serra brièvement la main de son interlocutrice pour la remercier, savourant ce contact intime et chaleureux, puis se concentra sur la tâche qui les attendait.

Le portail les avait amenées dans une petite rue déserte, ce qui permit le déchargement rapide des nombreux chariots par les lutins. Ces derniers s’éclipsèrent rapidement, repartant d’où ils étaient venus pour laisser les deux femmes seules avec leur chargement. Reine leva les yeux vers le ciel, incapable de les situer dans la capitale britannique malgré de nombreux séjours. L’air était plus doux ici, mais le froid restait mordant, surtout à une heure aussi matinale. Le bruit de légers coups contre une porte la ramena à Christy, qui s’était avancée vers ce qui était manifestement une entrée de service, celle de l’association qu’elle venait aider, d’après le dossier de leur mission. Quelques secondes plus tard, des visages souriants et enthousiastes les invitèrent à entrer.

— On vous attendait ! Bienvenue et encore merci de votre aide.

Une fois à l’intérieur et les présentations effectuées, on leur confia plusieurs tâches. D’abord, il fallait vider les caisses de leur contenu pour préparer des sacs de denrées d’une part, et de produits de première nécessité d’autre part. Ensuite, un coup de main en cuisine était demandé pour préparer le repas chaud qui serait distribué le reste de la journée. Reine se retrouva entre deux bénévoles, en train d’éplucher des légumes pour la préparation d’une soupe, tandis que Christy mettait son savoir à profit dans l’organisation des activités.

La tâche n’était pas bien compliquée, le travail étant répétitif. Cela permit à l’aspirante mère Noël de faire plus ample connaissance avec ses voisines de corvée dans une ambiance décontractée. Même si la situation ne prêtait pas vraiment à sourire, les gens étaient de bonne humeur et s’entraidaient pour réaliser leur objectif commun. L’ambiance détendue gagna même l’apprenante, qui réalisa qu’il n’était peut-être pas si mal d’oublier un peu le stress de son marathon et de ses responsabilités pour se concentrer sur le moyen le plus efficace d’éplucher une pomme de terre. Ici, elle pouvait se permettre de ne pas être la fille du père Noël, l’héritière digne ou non de reprendre le poste, mais simplement Reine.

Lorsque le moment fut venu d’installer les tables pour la distribution, devant le local, Reine fut surprise par la queue qui s’était déjà formée devant la porte et qui semblait s’étendre le long de la rue, jusqu’à perte de vue. Elle sentit son cœur se serrer, mais ne se laissa pas abattre devant le travail qui l’attendait.

La noëlfienne se retrouva au poste de distribution de soupe tandis que sa comparse donnait des sacs remplis de conserves et autres denrées non périssables. Les profils qui passaient devant leur stand étaient divers et variés : cela allait de l’étudiant à la mère célibataire en passant par un homme en costard, mais également de nombreuses personnes qui parlaient mal ou peu l’anglais. Reine fut reconnaissante des cours de langues express que lui avait donnés Christy et qui lui permirent d’échanger quelques mots avec ses interlocuteurs.

Cependant, il était difficile de rester de marbre face à la détresse évidente d’autant de personnes, alors que le reste du monde se montrait frénétique à l’approche des fêtes de fin d’année.

— J’ai l’impression qu’ils sont chaque année plus nombreux… soupira la Commandante lorsqu’on les relaya le temps d’une pause bienvenue.

Reine plongea le regard dans la tasse de café qu’un bénévole lui avait offerte et qui réchauffait actuellement ses mains transies par des heures à travailler dans le froid. Elle saisissait le désarroi de sa comparse. Malgré tous les progrès dont le monde actuel pouvait se targuer, la misère et les inégalités continuaient à sévir. Elle pensa au festin que sa mère lui avait préparé ce matin même et qui semblait désormais peser lourd dans sa poitrine. Tant de gens n’avaient pas sa chance, et elle fut d’autant plus reconnaissante envers Carol pour tout le soutien qu’elle lui apportait.

L’apprentie mère Noël redressa la tête et posa une main sur l’épaule de Christy.

— Cela rend notre travail ici encore plus important. On ne peut pas, à nous seules, éradiquer tous les maux du monde, mais détourner le regard n’est pas une solution. On se doit d’agir au mieux et de mettre à profit notre savoir pour le plus grand nombre.

Elle lui offrit un sourire qu’elle espérait plein d’espoir avant de continuer :

— Je comprends parfaitement pourquoi s’impliquer de cette manière fait aussi partie des devoirs d’une mère Noël. Si j’obtiens le poste, je fais la promesse de continuer à faire de mon mieux pour améliorer les choses le reste de l’année.

Portée par son élan, elle s’autorisa à ajouter :

— Je suis contente de passer cette journée et cette partie de mon apprentissage avec toi, Christy. Merci pour tout ce que tu fais.

Les joues de la Commandante passèrent du rose au rouge et elle s’empressa de répondre en agitant la main :

— C’est mon boulot, c’est tout. Et il n’y a pas de « si » qui tienne. Tu vas obtenir ce poste. Je t’en fais le serment.

L’elfe détourna les yeux et soupira à nouveau avant de prendre une gorgée de son café. Après un moment de silence, elle ajouta :

— Il faut que je règle cette histoire avec Merry. On ne peut pas laisser nos différends mettre en péril Noël, toi et le reste de l’équipe. Et puis… c’est bien la moindre des choses que je puisse faire pour elle. Nous restons des sœurs, après tout. J’espère seulement que ça signifie encore quelque chose pour elle.

Même si cette perspective ne semblait pas l’enchanter, Reine fut surprise de voir que Christy avait médité le sujet jusqu’à cette conclusion. Peut-être que cette journée particulière l’avait amenée à une position plus nuancée. Certes, la hache de guerre était loin d’être enterrée, pourtant c’était déjà un premier pas. La noëlfienne attrapa alors la main libre de son interlocutrice, consciente que c’était à son tour de la soutenir.

— Je serai là pour t’aider. Tu peux compter sur moi.

Elles échangèrent un sourire complice et profitèrent des derniers instants de leur pause dans un silence confortable. Tout avait été dit, et la présence de l’elfe à ses côtés suffisait à Reine pour qu’elle se sente remontée à bloc. Elle allait y arriver. Elles allaient y arriver, toutes les deux. Ensemble, rien ne semblait impossible.

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Un commentaire sur “19 décembre 2024 (A.M. Brawne)

  1. Cortin Cecile dit:

    Le jour de trêve est arrivé. Concentration, application et don de soi pour une mission de la plus haute importance. Hache de guerre enterrée provisoirement.
    Prix de la bienveillance et de la générosité pour tout le monde 🤩🤩🤩🥰🦸‍♀️

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