Lutins in the Sky with Donuts
— Tu te moques de moi ? s’insurgea Reine en tapant des pieds sur le sol gelé pour faire tomber la neige qui commençait à s’accumuler sur ses bottes.
Il faisait particulièrement froid en ce 20 décembre et une neige fine tombait depuis l’aube. Le ciel d’un gris de plomb ne laissait, lui, espérer aucune amélioration. Pour une fois qu’elle arrivait à être en avance, il fallait que ce soit un jour de mauvais temps, évidemment !
— Jamais, répondit Unicœur d’un ton pince-sans-rire.
— Alors quoi, tu vas me faire croire que tu ignores en quoi va consister l’entraînement de ce matin ? Alors qu’il s’agit du dernier avant le grand jour ?
— Je n’ai pas la science infuse, figure-toi. En dépit de mon intelligence reconnue et de ma beauté sans pareille.
Reine soupira avec un haussement d’épaules.
— Et de ton poitrail rebondi.
— N’importe quoi ! Si tu continues, je retourne auprès de Merry.
— Elle fait quoi, d’ailleurs, Merry ?
— Elle est là, se moqua une voix bien reconnaissable.
Reine se tourna vers la nouvelle venue sans trop savoir comment se comporter. La journée précédente, elles ne s’étaient guère vues, Reine à Londres et Merry à Paris. Cependant, il était difficile d’oublier tout à fait ce qu’il s’était passé dans le sauna et la compétition qui les opposait. Ce n’était pas dans ses habitudes d’être mal à l’aise, mais là, il fallait bien dire que l’ambiance était tendue.
— Voire tordue ! confirma la licorne dans son esprit.
— On avait dit que tu ne lisais plus dans mes pensées sans mon autorisation !
— Qui ça, « on » ? Je n’ai rien signé de mon côté.
— Franchement, Unicœur, tu abuses !
— Bon ! C’est fini, ces messes basses ? râla Merry. Ce n’est pas parce que je n’entends pas votre échange que je ne vois pas que vous discutez.
— Vous êtes là, toutes les deux. Tant mieux. Nous n’avons pas de temps à perdre, affirma Christy, qui semblait être arrivée de nulle part.
— Alors, à quoi avons-nous affaire aujourd’hui ? Pourquoi tout ce mystère et pourquoi cette séance en commun ? demanda Merry aussitôt.
Ainsi, Merry ne savait pas non plus à quelle sauce elles allaient être mangées. Reine ignorait si elle trouvait ça rassurant ou inquiétant.
— Celle qui remportera les épreuves demain aura besoin de cet entraînement. Même si je soutiens la candidature de Reine, je me devais d’être impartiale.
— Oh ! Voyez-vous ça ! Ce serait bien une première, que tu sois impartiale me concernant !
Christy poussa un profond soupir et Reine grimaça. Leur projet de réconciliation ne serait pas chose facile.
— Merry, même si tu refuses de le croire, je t’assure que, la dernière chose que je souhaite, c’est de te voir échouer dans ta mission si tu devais être choisie pour le poste.
— Comme tu viens de le dire, je refuse de te croire, sœurette. Je suis même persuadée que c’est tout le contraire.
— Bon sang, Merry ! Fais un effort ! Ne rends pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà !
Reine leva les yeux vers le ciel couleur de plomb en secouant la tête. Comment allait-elle aider Christy à régler un différend aussi ancien avec sa jumelle ?
— Hey ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Il n’est pas censé être mort, le tien ? s’insurgea soudain Unicœur dans sa tête, interrompant ses réflexions.
— Hein ? Mort ? Mais qui ça ? s’étonna Reine en pensée, perturbée.
— Mais non, pas toi ! Flûte ! Je me suis trompé·e de canal… Bye, Reine. Je dois y aller.
— Mais attends ! De qui tu parles ? s’inquiéta Reine, sans effet.
La petite licorne dodue avait déjà disparu.
— Quelle mouche a bien pu piquer ce fichu Esprit de Noël ?
Merry haussa les épaules d’un air indifférent.
— Unicœur a clairement un grain, de toute façon. Iel va, iel vient, on se demande pour qui iel bosse.
— En parlant de bosser, est-ce qu’on pourrait s’y mettre ? râla Christy.
— Toujours aussi avenante. Allons-y ! Moi aussi, j’ai autre chose à faire, figure-toi. J’ai une compétition à gagner et une belle-sœur à conquérir.
Le visage de Christy se plissa légèrement. Un éclair de colère traversa son regard bleu glacier. Reine retint sa respiration, mais la réplique cinglante ne vint pas. L’elfe se contenta de hausser les épaules.
— Reine remportera les épreuves du solstice, j’y veillerai. Quant au reste… ça ne me regarde pas.
Le cœur de Reine se serra alors qu’elle entendait ces mots. Elle n’avait aucune envie de voir les deux sœurs se déchirer, néanmoins de là à faire preuve d’une telle indifférence… C’était incompréhensible. Elle s’était pourtant sentie si proche de l’elfe ces derniers jours. S’était-elle bercée d’illusions sur le lien qui commençait à se tisser entre elles deux ? N’était-elle finalement qu’une candidate de plus à entraîner ?
Christy ne lui laissa pas le temps de ruminer davantage. Elle se dirigea d’un pas ferme vers une porte en chêne.
— Allons-y, maintenant ! Au boulot !
Elles entrèrent toutes les trois dans ce qui ressemblait à un entrepôt classique. Un peu trop classique, même pour le village. Murs gris et nus. Poutres métalliques à l’acier impeccable, sol en terre battue. Pas de décorations clignotantes, pas de sapin flamboyant ni de fausses confiseries en guirlande. Pas de lutins gambadant dans leurs jambes en prévoyant une bonne blague. Merry intervint aussitôt :
— Qu’est-ce qui se passe, ici ? On enterre quelqu’un ? Oups… Enfin, excuse-moi, Reine. Je sais que ton père est mort depuis peu, mais bon, tu avoueras que l’ambiance dans cette pièce est plutôt…
— Lugubre, confirma Reine d’un ton suspicieux.
— Ce n’est pas lugubre, c’est sécurisé. Il s’agit d’éviter tout risque de blessure, contra Christy.
— Ça commence à devenir intéressant… plaisanta Merry en se frottant les mains.
— Nous t’écoutons, l’interrompit Reine, qui essayait de ne pas se focaliser sur le regard mi-figue mi-raisin de sa voisine.
— Cet entraînement est assez récent. Il n’a encore été testé sur aucun candidat au poste de père Noël. Seul le père Noël en titre a eu le droit à quelques sessions de remise à niveau quand on s’est aperçu du problème.
— Un problème ? Quel problème ? C’est mon père qui a dû faire cette remise à niveau ? Il n’en a jamais parlé.
— Il a été décidé de ne pas ébruiter l’affaire.
— Nom de nom, Christy ! Crache le morceau une bonne fois pour toutes au lieu de tourner autour du pot ! s’agaça Merry.
— Très bien, très bien ! Pas la peine de s’énerver ! Il s’agit d’un entraînement au contrôle des effets du LSD.
Deux paires d’yeux ronds, ahuris, fixèrent la Commandante en cheffe des lutins.
***
— Bravo pour la discrétion, Unicœur, vraiment ! s’exclama le pangolin ailé rose qui tournait furieusement en rond à quelques mètres seulement du hangar où se déroulait l’entraînement.
— Oh, ça va, Pangunion ! Je me suis trompé·e de canal, ça arrive à tout le monde !
— Je ne crois pas, non… Trompé·e de canal, je te jure ! Tu te crois sur la vieille CB de Papy Tuyaute ou quoi ?
— Hein ? Mais c’est qui, Papy Tuyaute ? Bon, peu importe… Dis-moi plutôt ce que tu fais ici. Le dernier père Noël dont tu avais la responsabilité étant décédé, tu devrais être au Pays magique, à attendre ton tour.
— C’est tout le problème. Mon père Noël est dé-décédé.
— Tu bégayes maintenant ? Il ne manquait plus que ça pour compléter ton charme naturel. Avec ta silhouette en tonneau, tes écailles bizarroïdes et ta mauvaise réputation d’un point de vue médical…
— Quelle réputation ? éclata Pangunion en foudroyant Unicœur du regard. Fais bien attention à ce que tu vas dire, parce que la petite corne ridicule qui orne ton front ferait un excellent cure-dent pour ma descendance.
— M’enfin, tu ne vas pas me dire que tu n’as pas entendu parler d’un certain virus venu de…
— Unicœur !
— OK ! OK ! Je n’ai rien dit. Qu’est-ce que tu entends par « dé-décédé » ?
— Eh bien, il est revivant, quoi !
— Arghhh ! Un père Noël zombie ? C’est la fin des haricots magiques !
— Oh là là ! Mais quel drama tu fais ! Il n’est pas zombie, il est ressuscité, c’est tout.
— C’est tout ? Le père Noël nous la joue « Jésus revient, Jésus revient parmi les tiens », et toi, tu annonces ça tranquille mimile ?
— Il n’y a rien de mystique là-dedans. Il se trouve que sa mort n’était pas naturelle. Il a été assassiné. Dans ce cas précis, la mort doit être annulée. C’est dans les règles.
— Oh ! Juste ciel ! Je crois que je vais faire un malaise… Assassiné, tu dis ? Mais c’est horrible !
— Oui, enfin, victime de meurtre ressuscitée, faute à moitié pardonnée, comme on dit.
— Ah bon ? On dit ça ?
— Tout à fait. Il ne faut pas t’en faire sur le côté elfe tueur en liberté. Carol s’occupe de tout.
— Madame père Noël ?
— En personne !
— D’accord. Mais alors, qu’est-ce que je fais encore ici ? Si ton père Noël reprend du service, ma mère Noël peut retourner à son tricot, non ?
— Eh bien non ! Figure-toi qu’il ne veut pas reprendre du service.
— Une démission ? Ce serait une première !
— Pour le moment, il s’agit d’une sorte de prise de distance. Notre ex-père Noël reste entre les deux mondes, il refuse de prendre la place convoitée par sa fille. Le Conseil a décidé de laisser la candidate vainqueure des épreuves organiser le prochain Noël. Selon le résultat des courses, le père Noël pourra toujours revenir sur sa décision.
— Je vois. En deux mots, le Conseil lui forcera la main si c’est un fiasco.
— J’imagine qu’on peut le dire comme ça. D’où ma présence.
— Tu espionnes Reine et Merry pour le compte du Conseil ou du papa ?
Un sourire énigmatique répondit à cette question.
— Les deux, en conclut Unicœur.
***
— Le LSD ? Si c’est une blague, même en considérant ton absence totale de sens de l’humour, elle n’est vraiment pas terrible, Christy, marmonna Merry d’un ton sarcastique.
— Tu crois que j’aurais envie de plaisanter sur le sujet ? C’est très sérieux. Comme vous le savez toutes les deux, les elfes et les noëliens sont immunisés contre la plupart des drogues concoctées par les humains.
— Encore heureux quand on sait le nombre de fois où de petits malins ont essayé de mettre des somnifères dans le lait ou les cookies ! Franchement, je me demande encore pourquoi on continue à dorloter ces idiots. Les humains ne sont bons qu’à faire des embrouilles.
— On ne va pas punir les enfants pour les crimes de leurs parents.
— La plupart des drogues ? Ça veut dire « pas toutes » ? remarqua Reine en essayant d’éviter que la dispute n’éclate.
— Exactement… Y en a au moins une qui suit, ça fait plaisir !
— Fayotte ! siffla Merry avec un sourire en coin.
— Le LSD est devenu une préoccupation dans les années 1960. Ton père en a fait les frais. Un cookie aromatisé, et Noël a bien failli partir en cacahouète.
— Que s’est-il passé ?
— Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas. Je ne peux pas t’en dire plus. Ce que je peux préciser, c’est que l’effet est totalement imprévisible. Il est réversible, bien entendu. En quelques heures, tout rentre dans l’ordre.
— Je vois. Et cet entraînement, c’est pour… ?
— Prévoir l’effet qu’aurait cette drogue sur toi ou sur Merry, et vous donner une chance de le contrôler un minimum.
— C’est complètement dingue ! Il y a vraiment des parents qui mettent du LSD dans le lait et les cookies du père Noël ? s’exclama Reine, encore incrédule.
— Ça n’est arrivé que deux fois et… Comment dire…
— Et ? insista Reine, redoutant le pire.
— Ce n’était pas vraiment des parents ordinaires.
— Franchement, je ne sais pas si c’est rassurant ou inquiétant. C’était quel genre de parents, alors ?
— Le genre qui travaille pour la CIA.
Reine resta interdite, ne sachant pas comment réagir.
— La CIA a essayé d’empoisonner le père Noël ? Alors là, même les complotistes les plus zélés n’ont rien vu venir ! s’exclama Merry, hilare.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! Nous non plus, on n’a rien vu venir, et ça, c’est embêtant. Je pense qu’ils ont essayé de le capturer plutôt que de l’empoisonner, mais passons. Quoi qu’il en soit, on ne peut plus prendre de risque.
— Et maintenant ? demanda Reine d’une voix peu assurée en fixant l’assiette de cookies posée sur un établi, derrière Christy.
— Mise en situation. Vous devez manger l’un de ces cookies.
— Si on m’avait dit qu’un jour ma sœur, plus rigide qu’un tuyau de cheminée en fonte, m’ordonnerait de me faire un trip au LSD…
Christy leva les yeux au ciel et tendit à chacune un biscuit. Reine poussa un profond soupir avant de croquer dans le sien. Elle mâcha, s’attendant plus ou moins à lui trouver un goût bizarre. Cependant, il n’y avait rien à redire. Il était délicieux. Les pépites de chocolats fondaient sous la langue, les noisettes croquaient sous la dent. Difficile d’imaginer que des molécules perfides se cachaient dans cet océan de douceur.
— On dirait vraiment un cookie classique, remarqua Merry, traduisant les réflexions de Reine.
Christy haussa les épaules.
— Si les biscuits empoisonnés avaient un goût de poison, personne n’en mangerait.
— Logique, comme toujours, sœurette. Pourtant, j’envisageais quelque chose d’un peu plus exaltant.
— Attends… ça va venir. Vous feriez mieux de vous asseoir. Ça peut prendre un peu de temps.
— Combien ? se renseigna Reine en se posant sur le sol terreux.
Tant pis pour le fond de son pantalon ! Elle n’aurait plus qu’à le mettre à laver en rentrant.
— Tu aurais pu prévoir des chaises, au moins, râla Merry.
— Depuis le dernier exercice de ce genre, on évite de mettre des objets qui pourraient servir de projectiles dans la pièce. Pour répondre à ta question, Reine, entre 30 et 90 minutes avant les premiers effets.
Il se passa près d’une heure sans que rien ne se produise. Un silence pesant régnait dans l’entrepôt et Reine commençait à trouver le temps long. Christy continuait à éviter son regard, et elle-même s’était bien gardée de répondre aux quelques provocations de Merry.
— Bon sang ! C’est une épreuve d’ennui, cette histoire, ou quoi ? Si ça se trouve, vous avez oublié de mettre cette fichue drogue dans la pâte, marmonna Merry.
— C’est vrai que je ne ressens absolument rien de lézard, confirma Reine.
Pour le coup, les yeux de Christy se fixèrent droit dans les siens.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Que tout va parfaitement chien. Quoi ? Pourquoi vous me dévisagez comme chat ?
Merry leva les sourcils, sarcastique.
— Enfin ! On va peut-être commencer à s’amuser.
Cependant, son expression s’altéra rapidement, passant de l’ironie à une inquiétude grandissante.
— Hey ! Une minute… Qui a laissé entrer ces bestioles ?
Reine se tourna dans la direction indiquée par Merry. Elle ne vit rien d’autre que de la poussière qui dansait dans un rayon de soleil. Et c’était l’une des plus belles choses qu’elle ait vues depuis longtemps. Les grains flamboyaient dans la lumière et reflétaient mille couleurs. Attendez une minute… La dernière fois que j’ai regardé le ciel, le soleil ne paraissait pas près d’être au rendez-vous. Bizarre, ça.
— La météo est lézard aujourd’hui. C’est vraiment n’importe quoi.
— Mais arrête un peu avec tes lézards, on a des soucis plus graves ! s’emporta Merry, la voix chargée d’angoisse.
— Quels lézards ? Qu’est-ce que tu ragondins ? Tiens, du sable blanc… Et des palmiers ? Alors là, c’est pas normal, si ?
***
— Tout le monde reste calme, intervint Christy. Ce que vous voyez n’est pas réel. Votre cerveau a pris le contrôle sous l’effet de la drogue. Il ne faut surtout pas paniquer. Tout va bien. Respirez à fond. Ne luttez pas contre les visions. Essayez juste de les ajuster pour qu’elles soient plaisantes.
— Oh, mais c’est très faisan ! On dirait une plage de Vanuatu où je suis allée avec ma merle. Ah ! Voilà l’océan, justement. C’est incroyable, on s’y croirait. Je sens même la couleuvre du soleil. Il faut que je pique une tête !
— Hum… Reine, attends un peu ! s’exclama Christy alors que Reine commençait à se déshabiller.
— Allez, ne fais pas ta rabat-koala et viens avec moi. Ça te ferait du bien de te détendre un peu !
En moins de deux, la noëlfienne se retrouva en shorty et débardeur noirs, sautillant dans des vagues imaginaires et lui faisant signe de la rejoindre. Christy ne put retenir un sourire. Évidemment que les illusions de Reine étaient joyeuses ! Cela allait si bien avec son caractère. Il faudrait peut-être voir ce qu’on pouvait faire pour ce problème d’élocution, mais ce n’était pas si grave.
— Allez ! répéta Reine. Rejoins-moi !
En la regardant danser en riant, l’elfe dut bien avouer qu’elle n’aurait rien eu contre le fait de profiter un peu d’une eau chaude et limpide avec elle. L’idée était plus que tentante, et le corps à moitié dénudé qu’elle avait devant les yeux, encore davantage. Elle secoua la tête. Non, non, reprends-toi, Christy ! Ce n’est pas du tout le moment !
Reine courut vers elle, lui attrapa la main et commença à la tirer doucement.
— Tu es bouquetin trop sérieuse… C’est vrai que c’est très séduisant, ce côté Commandante parfaite, mais ça doit être épuisant.
— Ah oui ? Séduisant ? remarqua Christy avec un sourire amusé.
Apparemment, la drogue avait également un léger effet de désinhibition sur la noëlfienne. Celle-ci rougit furieusement et lui lâcha la main.
— Oui, enfin, tu vois ce que je veux huître…
— Pas tout à fait, non, répondit l’elfe, hilare.
Cet entraînement se révélait beaucoup plus amusant que prévu. Un hurlement désespéré la ramena brutalement à la réalité. Acculée au fond de l’entrepôt, les yeux agrandis par l’effroi, le souffle anarchique, Merry semblait se débattre avec un tout autre spectacle. Crise d’angoisse et vision d’horreur : voilà qui n’étonnait pas non plus Christy. Tout à fait en concordance avec la joie de vivre habituelle de sa sœur.
— Garde ton calme, Merry ! Rien de ce que tu vois n’est réel.
— Ils ont pourtant l’air vachement réels, ces horribles monstres ! Des poils, de petits crocs pointus, des yeux maléfiques… Ils ont toute la panoplie !
Christy soupira, comprenant à quoi sa sœur faisait référence.
— Résiste à la peur du chihuahua, tu peux le faire ! s’exclama-t-elle d’un ton encourageant.
— T’en as de bonnes ! Il y a aussi deux yorkshires et… Oh ! Bon sang ! Un terrier de Boston !
Christy ressentit une pointe de pitié pour sa sœur. Les Boston étaient, de loin, les plus terribles. Des boules d’énergie sur pattes ! Des chiens tout en muscles malgré leur petit gabarit, aussi affectueux que malicieux, qui ne pensaient qu’à jouer des tours et… manger les cookies prévus pour le père Noël. Le père de Reine avait bien failli laisser l’une de ses bottes dans une maison défendue par l’un de ces terriers. Seul le biscuit en échange lui avait permis de la récupérer.
— Merry, si tu n’arrives pas à contrôler une simple vision de canidés, qu’est-ce que tu feras une fois face à un vrai spécimen immunisé contre la poudre de sommeil ? Tu sais que c’est une possibilité si tu remportes les épreuves demain.
— Rhaaaaa ! C’est bon, c’est bon ! Je sais. Ce n’est pas l’empathie qui t’étouffe, toi.
Christy jeta un œil sur Reine, qui venait de remettre son pantalon et s’approchait.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Des chihuahuas…
— C’est ça qui la met dans un tel état ?
— Je t’entends, figure-toi ! Et je précise qu’il y a aussi des yorkshires et un terrier de Boston.
— D’accord. Je comprends. Cela dit, j’ai passé bien plus de temps au milieu des humains et de leurs compagnons à quatre pattes que vous deux, je pense. Je ne peux pas m’empêcher de trouver votre réaction… un rien exagérée, quand même.
— C’est parce que tu n’as pas entendu toutes les horribles expériences des pères Noël qui se sont succédé au fil des ans. D’ailleurs, depuis quand tu reparles normalement ?
— J’ai toujours parlé normalement. C’est quoi, cette question ? Bref ! Est-ce que l’un d’eux a déjà été sérieusement blessé ?
— Non ! Encore heureux ! Mais nombreux sont ceux qui ont dû courir pour sauver leurs mollets ou sacrifier quelques cookies sur l’autel de la paix.
— Il faut les comprendre, ces petits toutous. Franchement ! On les drogue à moitié et on s’introduit chez eux par la cheminée. Comment voulez-vous qu’ils fassent la différence avec un cambrioleur ?
Christy se frotta la joue d’un air soucieux. Elle n’avait jamais vu les choses sous cet angle.
— Le costume, peut-être ?
— Sérieusement ? Les dernières études montrent que les chiens ne perçoivent même pas le rouge.
— Bah ! On ne va quand même pas teindre le père Noël en bleu pour éviter de se faire grignoter les chevilles ! s’exclama Merry.
— Bien sûr que non… Simplement, il faut essayer de comprendre leurs motivations et les rassurer.
— Comment je fais ça, moi ? Rassurer des monstres pleins de dents quand je suis morte de peur.
— Tu leur parles gentiment, calmement, avec une voix aigüe… et tu leur donnes des morceaux de poulet. C’est meilleur pour leur santé que les cookies.
— Mais j’ai pas de poulet !
— Merry, c’est ta vision. C’est toi qui la contrôles, intervint Christy.
Merry poussa un soupir à fendre l’âme, puis, après un froncement de sourcils de concentration, elle commença à suivre les instructions de Reine. En quelques minutes, le calme revint dans son esprit et dans le hangar.
— Bien, finit par conclure Christy. Je pense qu’on peut déclarer que l’entraînement est terminé et que c’est un succès.
— Ouais ! Super ! Merci beaucoup pour ce moment merveilleux, sœurette, grinça Merry avant de sortir en claquant la porte.
Christy grimaça et marmonna :
— Mais de rien !
***
— Moi, j’ai trouvé ça très chouette, tenta de la rassurer Reine.
Pour Christy, qui avait l’ambition de se réconcilier avec sa sœur, l’issue de cette journée devait être décevante. L’elfe sourit.
— Oui, c’est ce que j’ai constaté. Je me demande même si je ne vais pas te donner un autre cookie aromatisé pour revoir ça.
— Revoir quoi ? demanda Reine d’un ton suspicieux.
— Ta danse sur la plage de Vanuatu.
— Ce n’est pas gentil de se moquer !
— Personne n’a jamais dit que j’étais gentille, plaisanta Christy.
— On se demande bien pourquoi avec une telle attitude.
— Tu te rends compte que, toi, par contre, tu l’as peut-être été un peu trop ?
— Écoute, on ne va pas revenir là-dessus ! J’ai dit « séduisant », et c’était une remarque parfaitement impartiale…
— Je ne parle pas de ça ! Tu as permis à Merry de surmonter un handicap qui aurait pu la faire échouer demain.
— Oh ! Je… Je n’avais pas pensé à ça. Elle avait l’air si terrifiée. Je ne pouvais pas la laisser comme ça.
— Je sais bien, Reine. Je sais bien, murmura Christy avec un sourire affable.
Reine n’eut pas trop de difficulté à imaginer ce que pensait l’elfe. Merry, de son côté, ne s’embarrasserait pas de ce genre de sentiments.
***
— Alors, qu’en penses-tu, Pangunion ? sonda Unicœur en remettant sa crinière en place d’un mouvement digne des meilleures publicités pour shampoing.
— Arrête un peu de faire ton intéressant·e. Pour répondre à ta question, je n’étais pas certaine d’avoir la même confiance que le père Noël en sa fille, mais…
— Mais ?
— Elle m’a impressionnée. Elle est à la fois déterminée, enthousiaste et pleine d’empathie.
— Oui, mais on ne peut pas tout à fait en dire autant de mon autre protégée.
— Il y a beaucoup trop de rancœur dans son cœur, Unicœur.
— Ça fait beaucoup de cœurs, tout ça.
— Sois un peu sérieux·se. Ce que je veux dire, c’est que ce genre de chose peut s’arranger avec le temps.
— Seulement, les épreuves sont pour demain. Du temps, il n’y en a plus.
— Alors, que la meilleure gagne ! trancha Pangunion avant de disparaître brusquement.
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Chapitre elephantesque rose chouettement flamant. Qu’est-ce que j’ai ri!
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36 merveilles pour Reine, 36 chichis pour Merry. Pour Sylvie, maillot jaune et arc en ciel 🤩🤩🤩🌈🌈🌈