L’ombre de la victoire
— Elle a t-t-t-triché !!!
— L’épreuve est terminée, veuillez sortir de l’aire entourant le bassin d’eau glacée et vous rhabiller avant de passer dans mon cabinet pour la prise de sang, ordonna sèchement la docteure Philana.
— Mais enf-f-f-fin, vous l-l-l-l-l’avez v-v-vue ! bégaya Reine, glacée, bleue de rage et de froid, montrant sa concurrente de son doigt tremblant.
— Ne s-s-sois p-p-pas m-m-mauvaise p-p-perdante, R-r-reine. Je suis aus-s-s-s-si f-f-frigorifiée que toi, bredouilla Merry en passant une couverture chaude sur ses épaules.
— Viens te réchauffer, on réglera ça après, murmura Christy à l’oreille de sa protégée en l’entourant d’un plaid douillet.
Elle l’attira énergiquement vers le vestiaire, quittant la salle de la piscine à grands pas. Puis elle ferma la porte derrière elle.
— Reine, ressaisis-toi ! C’était à prévoir que ma sœur tricherait. C’est à ses risques et périls. Si elle est prise sur le fait, elle sera disqualifiée.
— M-M-Mais j’ai v-vu le p-p-pot de c-crème dont elle s’est end-d-duite. Elle l’a c-c-caché dans son s-s-sac !
— Et ses vêtements ont été fouillés par mon équipe. Cependant, ils n’ont rien trouvé.
Reine fut secouée par de violents sanglots de rage et crispa ses poings gelés sur les manches de l’elfe.
— Elle a s-sûrement des c-c-c-complices !
— Je m’en doute. On va les trouver, je t’assure. J’ai des soupçons. Mais ça, c’est mon travail, Reine ! Le tien, c’est de tenir le coup jusqu’à ce soir. Tiens, bois ça, ça va te remonter.
— D-Du ch-ch-chocolat chaud ?
— C’est tout ce que je peux te fournir pour que tu puisses passer le test antidopage. Ça va te réchauffer et t’apporter des calories. Tes mains tremblent, et tu vas avoir besoin de concentration pour la prochaine épreuve.
— Ce s-s-sera quoi ?
— Je ne peux pas te le dire. Mais tu vas y arriver, crois-moi. Il faut juste que tu te reprennes.
— T-T-Tu en as de b-b-bonnes ! J’ai r-r-raté p-presque t-toutes les ép-p-preuves de la j-j-jourrrnée !
D’un geste autoritaire, Christy lui fourra la tasse brûlante dans les mains.
— Fais ce que je te dis, tête de mule !
La rage au cœur et les larmes brûlant son visage, la noëlfienne avala le breuvage à petites gorgées. Son corps se décrispa un instant, puis elle fut prise de tremblements.
— Tout doux, ça va aller ! Bois doucement. C’est bien. Maintenant, habille-toi. Je n’ai pas le droit de t’aider à le faire.
La candidate se leva péniblement, grimaçant de douleur à chaque pas. Elle avait perdu la sensation de ses jambes et devait se tenir au mur pour ne pas tomber. Les tremblements, elle le savait, l’accompagneraient pendant encore une bonne vingtaine de minutes. Malheureusement, le pire, c’était ce sentiment d’injustice et d’impuissance depuis le début des épreuves. Tout semblait sourire à Merry, avec de nombreuses épreuves taillées pour elle. Le Conseil avait déjà effectué son choix et cette compétition n’était qu’un simulacre, elle en était sûre !
Serrant les dents, elle acheva de boutonner sa veste, puis se dirigea en titubant vers le cabinet de la docteure Philana.
***
La médecin était déjà occupée avec Merry lorsque Reine entra. La prise de sang effectuée, Philana saisit une autre seringue et injecta quelque chose à l’adversaire de Reine.
— Hey ! Mais vous n’avez pas le droit !
— On se calme, la noëlfienne, rétorqua froidement Philana. Ce sont des vitamines, rien de plus. Tu en auras également.
— Merci, Phila, roucoula Merry.
— De rien, beauté. Tu peux sortir. Bon courage pour la suite !
Merry passa devant sa concurrente en la bousculant au passage.
— On se retrouve à la prochaine épreuve, chère belle-sœur ! Enfin, si tu tiens encore debout…
Reine serra les dents et choisit de ne pas répondre à la provocation. Rester concentrée. Garder son calme. Surtout, économiser son énergie pour atteindre son but. Ne penser à rien d’autre. C’étaient les conseils prodigués par son instructrice au petit matin, juste avant le début de cette journée infernale.
— Assieds-toi là et ferme le poing.
La docteure retroussa la manche de sa seconde patiente et planta son aiguille sans ménagement.
— Aïe !
— On fait sa chochotte ? Tu peux déplier le poing. J’ai pris ce qu’il me fallait.
Reine avait bien envie de le lui mettre dans la figure ! Puis elle la vit prendre une seringue et aller chercher un flacon sur une étagère éloignée.
— Les vitamines sont là, indiqua la candidate en montrant de son nez gelé une fiole sur la table.
— Merry est une pure elfe. Tu ne l’es qu’à moitié. Je ne peux pas vous donner les mêmes remontants.
Affolée, Reine fit un effort pour se lever.
— Je n’en veux pas, merci.
— Mais, si tu ne le prends pas, tu vas encore trembler pendant longtemps…
— C’est inutile. Je refuse le remontant.
La médecin leva les yeux au ciel en soupirant bruyamment.
— Comme tu voudras. Ce n’est pas comme si tu étais en tête et en pleine forme, hein ? Et parano, en plus de ça ! Pfff…
La noëlfienne claqua la porte en sortant du laboratoire, ce qui lui procura un bienfaisant regain d’amour-propre. En route pour l’épreuve suivante, elle se souvint brusquement de son premier passage à l’infirmerie, après sa chute dans le lac glacé. C’était la même docteure qui l’avait soignée. C’était elle qui avait permis à Merry d’entrer dans sa chambre, alors que le règlement stipulait que seules sa famille et son instructrice pouvaient lui rendre visite ! D’un seul coup, tout se mettait en place. Philana était une amie de Merry ! Reine ne connaîtrait jamais la composition du flacon qui lui était réservé, mais elle était sûre d’avoir effectué le bon choix en le refusant.
Son corps la brûlait à présent, effet pervers de sa sortie d’hypothermie. Un incendie la consumait de l’intérieur. C’était sûrement grâce à un enduit protecteur que Merry avait réussi l’épreuve du bain glacé ! Elle avait moins souffert du froid et bénéficié d’un remontant. Reine prit une lente respiration pour tenter de se calmer. Autant dire qu’elle allait commencer la prochaine épreuve avec un handicap !
Arrivée en vue du bâtiment où allait se dérouler son nouveau challenge, elle trouva Christy cachée derrière un bonhomme de neige. Cette dernière lui fit signe de la rejoindre. Reine s’approcha et souffla immédiatement :
— C’est Philana, j’en suis sûre !
— Cela rejoint mes soupçons. Essaie de te concentrer sur l’épreuve et laisse-moi faire justice. Aie confiance en moi, bon sang ! Je suis de ton côté, Reine. J’ai servi ton père pendant des centaines d’années. Écoute-moi bien. Ce qui va se passer dans cette enceinte va mettre vos nerfs en pelote. Je pense que tu es mieux équipée que ma sœur pour réussir. Sauf que, si tu te laisses bouffer par la colère, tu perdras. Dis-toi que l’apparente facilité de Merry, c’est sa poker face. Elle en bave autant que toi. Elle est tout aussi fatiguée. Et elle est loin d’avoir le Conseil d’acquis. Aussi, ne te compare pas à elle et focalise-toi sur ta réussite. Tu vas y arriver, Reine, je crois en toi.
Christy hésita un instant, fit un pas en direction de Reine, se ravisa et revint à sa hauteur.
— Je crois en toi, répéta-t-elle avec douceur. Et j’ai peut-être un moyen pour t’aider à avoir un peu moins froid.
Pour appuyer son propos et sceller son discours de coach sportif, elle posa sa main sur la joue de Reine et captura ses lèvres dans un baiser appuyé. L’aspirante mère Noël sentit son cœur s’emballer dans sa poitrine et elle en savoura toute la douceur et l’intensité. Elle en voulut plus, mais déjà Christy s’éloignait, partant sans un mot, l’empêchant de réagir à un tel cadeau.
***
Une sono assourdissante l’agressa dès qu’elle ouvrit la porte du hangar. Elle venait de pénétrer dans une arène avec des milliers d’elfes, de lutins et de gnomes en furie dans les gradins. Tous hurlaient, sifflaient. Certains possédaient des cornes de brume, qu’ils utilisaient gaillardement. Par-dessus ce tapage, une sorte d’ogre s’époumonait dans un mégaphone, couvrant une musique abrutissante. Reine porta ses mains à ses oreilles, agressée par ce vacarme. Elle nota que sa concurrente avait le visage crispé. Le commentateur gargantuesque hurla leurs noms, et la foule en délire se mit à les scander dans une cacophonie infernale. On aurait dit deux boxeuses qui allaient monter sur le ring… Sauf qu’en face d’elles, sur le sol, il y avait des cartes à jouer. Des milliers – des millions, peut-être – de cartes à jouer, formant un tas monstrueux de plus d’un mètre de haut sur presque autant de large. Deux lutins minuscules les prirent par une main pour les entraîner de chaque côté du monticule. Reine ne savait pas encore ce qu’on allait leur demander de faire, mais elle redoutait le pire. Cependant, la pression des lèvres de Christy sur les siennes lui avait laissé une empreinte indélébile. Ce baiser, c’était sa force ! C’était ce qui allait lui permettre de surmonter ce challenge.
— Reine, Merry ! beugla l’ogre dans son haut-parleur. Nous vous attendions pour l’épreuve de patience ! Vous allez devoir chacune construire un château de cartes le plus grrrrand possible ! Vous ne saurez pas quand le test se terminera. Reine le fera uniquement avec des cartes de cœur, tandis que Merry prendra les piques. Tout sera réalisé pour vous empêcher d’arriver à vos fins. Lorsque le temps qui nous conviendra sera écoulé, la gagnante sera désignée ! Trois, deux, un, c’est parti !
Sidérée, Reine vit sa concurrente se jeter sur le tas de cartes. Elle commença à les trier pour ne garder que les piques. Pas de panique, ce n’est pas un travail de vitesse, pensa-t-elle. Il n’a pas non plus été énoncé qu’il fallait terminer en premier, ni même terminer tout court ! Étourdie par le vacarme, les lumières, elle prit une lente respiration et commença à son tour à trier quelques cartes pour ne garder que sa couleur, puis elle entreprit de construire une base à son château. Une pluie de confettis s’abattit sur elle, couvrant ses mains encore tremblantes.
Tu peux y arriver, concentre-toi ! Ne laisse pas tes émotions t’envahir !
De son côté, Merry triait encore les cartes avec acharnement. Sa tactique était-elle meilleure ? Alors que Reine revenait à la montagne de cartes, Biscuit ouvrit toutes les portes, créant un titanesque courant d’air qui anéantit sa base d’un souffle. Rageant, elle se concentra sur la recherche des cartes qu’il lui fallait. Sa concurrente semblait plus concentrée, et plus rapide également. On lui avait sûrement injecté un stimulant !
Cette épreuve parut durer une éternité. Dès que l’une d’entre elles commençait à construire son château, une intervention extérieure balayait ses efforts. C’en aurait été risible s’il n’y avait pas eu cette fatigue intense et cette envie presque insurmontable de sortir en courant de l’arène. Reine pleurait de rage et de détresse. Elle n’arrivait absolument pas à se concentrer, gagnée par une frustration insoutenable.
Une odeur abjecte, se rapprochant du poisson pourri, les agressa soudain. Reine effectua une pause pour déchirer un pan de sa chemise et se boucher le nez et les oreilles. Impossible de supporter cette puanteur et de rester concentrée !
La jumelle de Christy l’imita, et ce fut alors le coup de grâce : Unicœur apparut devant elles.
— Alors, les filles, ça gaze ? On fait des châteaux de cartes ? Z’êtes pas un peu grandes pour ce genre de sottises ? Nan ? Bon, ben, j’vais chanter pour vous encourager !
Unicœur entonna de sa voix la plus fausse un titre maudit. Terrassée, la noëlfienne reconnut la chanson braillée par le fantôme à la voyante dans le film Ghost dans le but de lui faire perdre la tête.
Deuuuuxième couplet, comme le premier !
Jeeee suis Henry le huitième, Henry VIII, Henry le huitième,
J’ai épousé la veuve d’à côté, qui a été mariée sept fois dans l’passé,
Et chaque mari s’appelait Henry, Henry, non, non, pas d’Sam ou d’Willy, non, m’sieur,
Chuis son huitième mec de suite, Henry, Henry VIII, Henry le huitième !
Hen-ry le huit-ième !
Et encooooore le deuxième couplet, comme le premier !
Jeeee suis Henry le huitième, Henry VIII, Henry le huitième !!!
J’ai épousé la veuve d’à côté…1
N’y tenant plus, elle jeta un regard implorant à Merry, qui paraissait ne pas supporter mieux qu’elle cette torture mentale. Elles bondirent dans un accord tacite et détalèrent vers la porte la plus proche en hurlant toutes les deux. Reine la franchit pour s’affaler dans la neige, avant de s’apercevoir que son odieuse adversaire avait ralenti au dernier moment, sortant la dernière. Désespérée, elle hurla sa douleur. Tout était foutu !
***
Recluse dans un caisson d’isolement acoustique, les genoux repliés contre elle, Reine sentait son corps la lâcher. Elle était rompue de fatigue. Combien de temps s’était-il écoulé depuis qu’on les avait mises en isolement pour récupérer ? Peut-être que l’absence de repères temporels faisait partie de cette misérable mise en scène. Jamais son père ne lui avait parlé de telles horreurs ! C’était un cauchemar ! On l’avait pourtant nourrie, lavée, réchauffée après l’arène, et elles avaient été placées en repos forcé. Pour combien de temps encore ? Et puis, s’il paraissait évident que Merry avait gagné la majorité des épreuves, pourquoi s’acharner à les départager ?
Alors qu’elle tentait de se relever et d’ouvrir la porte, celle-ci s’entrebâilla afin de laisser passer la tête d’une lutine en uniforme.
— Est-ce que ça va, Reine, tu es un peu reposée ? questionna-t-elle gentiment. Courage, plus qu’une épreuve ! Tu dois à présent te rendre en dehors du village, sur la piste de décollage des traîneaux. Merry et toi irez ensemble. Nous avons préparé deux attelages. La première arrivée prendra celui qui lui convient. L’épreuve consiste en une course de courte durée. Vous devez tourner autour d’une borne céleste installée au-dessus d’Apukka, au nord du lac Olkka, puis revenir. Tu vois, ce n’est pas loin ! La première qui atterrit sur notre piste aura gagné l’épreuve. C’est l’affaire de dix minutes, une fois sur les traîneaux. Tu te sens prête ?
— Oui, répondit Reine avec lassitude et résignation.
— Alors, c’est parti ! Tu peux y aller ! Go, go, go ! l’encouragea-t-elle.
Reine fit un effort pour sortir rapidement malgré son éreintement. Elle reconnut sa concurrente de l’autre côté du chemin, à peu près dans le même état qu’elle. La noëlfienne lui lança un regard compatissant malgré tout, qui fut royalement ignoré. L’elfe cherchait à marcher plus vite, sans y parvenir véritablement. Reine s’aperçut que cette dernière boitait un peu. Merry s’était en effet mal réceptionnée lors d’une descente de cheminée. Cahin-caha, elles sortirent du village à une allure qui était supportable pour elles deux.
Elles avançaient vers l’étang de Ollikaisen lorsqu’elles entendirent un gémissement étouffé venant du bas-côté, puis un cri de douleur. Reine s’arrêta et vit un grelot qui dépassait de la toundra. Elle saisit le bras de sa rivale afin d’attirer son attention.
— Il y a quelqu’un de blessé là-bas !
L’elfe ralentit et sembla hésiter.
— Écoute, on n’en peut plus. On n’est pas loin du village. Quelqu’un va bien finir par le trouver. Vas-y si tu veux. Moi, je continue !
— Merry, s’il te plaît !
Écœurée, Reine la vit s’éloigner vers son but ultime, et avec elle, son dernier espoir de prendre la suite de son père s’envola. Elle n’hésita pourtant à aucun moment : son père n’aurait jamais abandonné une personne en détresse ! Déterminée, elle coupa à travers la neige durcie pour venir en aide au propriétaire du grelot. Après quelques mètres, elle reconnut la bouille de Rouspétopoulos, en mauvaise posture, une jambe piégée dans un trou.
— Reine ! À l’aide ! Je pense que ma jambe est cassée !
— Ne bouge surtout pas. Je vais te sortir de là.
— Merci… Je suis tellement navré ! Tu vas rater ton épreuve à cause de moi !
— Ne dis pas de bêtises, mentit-elle. Que s’est-il passé ?
— C’est moi qui devais atteler les rennes de vos traîneaux. Je suis tombé en revenant. Mais file ! Tu as encore une chance de gagner si tu coupes à travers champs !
— Pas question, répliqua-t-elle en ôtant son long manteau. Tiens bon. Je vais t’allonger là-dessus, d’abord le haut du corps, et ensuite j’y déplacerai ta jambe. Ne bouge pas, je vais chercher de quoi te construire une attelle !
Le lutin lui sourit faiblement. Comme s’il allait s’échapper !
Elle repéra un vieux tas de bois sous la neige. Les morceaux étaient trop gros ! Par chance, un bûcheron avait oublié sa hache près de l’empilement. Puisant dans ses dernières forces, elle abattit l’outil sur une bûche avec la rage du désespoir et en fit de fines lames de bois. Puis elle lacéra sa chemise pour en tirer des bandeaux, qui lui serviraient à attacher le tout autour de la jambe du blessé. Les larmes brouillaient sa vue lorsqu’elle revint près du lutin. À cet instant, elle vit Merry élancer son traîneau dans les airs. Son rêve anéanti, elle fit un effort monumental pour se concentrer sur sa tâche. L’accidenté posa sa main sur son bras en signe de remerciement. Avec difficulté, elle glissa la jambe de Rouspétopoulos sur son traîneau improvisé.
— Merci… Emmène-moi vers la piste. C’est le plus près et on y trouvera de l’aide. Je plaiderai en ta faveur.
Sans un mot, elle entreprit de le traîner vers le lieu de sa défaite.
***
Ils atteignirent la piste au moment où Merry s’y posait, triomphante. Ses supporters se ruèrent vers elle afin de la féliciter. Reine n’avait même plus la force de la détester. Des lutins accoururent pour leur porter assistance et prendre Rouspétopoulos en charge. La fille du père Noël vit son instructrice s’approcher d’elle et la prendre dans ses bras.
— Tu as fait ce qu’il fallait, lui souffla-t-elle doucement. Ne regrette rien.
Perdue, Reine accepta l’étreinte en cherchant à comprendre ce que cela signifiait. Se pouvait-il que Christy ne soit pas déçue ? Et si elle aussi était contre elle, finalement ? Est-ce que tout cela n’était qu’une vaste fumisterie, une farce cruelle, une conspiration visant à anéantir son souhait le plus cher ?
Sans un mot, elle se laissa faire dans les minutes qui suivirent, comme dissociée de son propre corps. On la réconfortait, on la choyait, on la consolait avec des mots vides de sens pour elle. Elle avait perdu. C’était fini. Ses larmes coulaient sur son visage glacé. Christy lui passa une couverture chaude sur les épaules avant de murmurer :
— Il faut qu’on retourne au village. On nous attend pour les résultats et l’intronisation. Es-tu encore capable de marcher ? Je peux te mettre sur une luge, si tu veux.
— Ça ira, merci. Mon cœur est plus meurtri que mon corps.
— Je suis navrée. Tu es obligée d’assister à la cérémonie.
— Je t’ai dit que ça irait, rétorqua-t-elle plus durement qu’elle ne l’aurait souhaité.
Elles furent les bonnes dernières à quitter la piste, tout le monde ayant choisi d’accompagner Merry ou Rouspétopoulos. Marchant lentement, elles prirent le chemin du haut, celui qui longeait la paroi d’une petite montagne. Reine se souvint que c’était l’endroit où elles avaient effectué leur premier entraînement hors simulateur. Lorsqu’elle surprit un bruit sourd, Reine leva les yeux et aperçut une gigantesque silhouette poilue.
— Attention !
Christy se jeta sur elle et la protégea de justesse d’un énorme rocher qui lui tombait dessus.
— Vite ! Il y a une grotte pas loin ! Suis-moi !
Suivant la Commandante comme un automate, Reine se sentit vivement traînée par le bras. Elles basculèrent en même temps dans la grotte en roulant sur elles-mêmes alors qu’un autre bloc en scellait l’entrée.
Prisonnières !
Inconsolable, Reine s’abandonna enfin à son désespoir. Prostrée dans un coin de la grotte, elle laissa couler de grosses larmes intarissables, jalonnées de spasmes et de sanglots. Elle sentit les bras réconfortants de Christy s’enrouler autour d’elle et la chaleur de son souffle dans son cou. Un doux baiser vint recueillir ses larmes.
— Félicitations, madame la nouvelle mère Noël, chuchota l’elfe à son oreille.
— Tu te moques de moi ?
— Pas du tout. Tu mérites de gagner.
— Tu plaisantes ! J’ai tout foiré, absolument tout !
— Tu te trompes. C’est ma sœur qui s’est plantée, dans les grandes largeurs, même. Vois-tu, l’accident de Rouspéto, c’était ça, la véritable dernière épreuve. Celle de l’assistance à personne en danger. Tu as réagi comme nous l’espérions. Merry, avec son ego volcanique, est tombée dans le piège.
— Tu fais des suppositions, mais rien n’est certain…
- I’m Henry VIII, I Am, chanson de music-hall écrite par Fred Murray et R. P. Weston et interprétée par Harry Champion en 1910. ↩︎
Bain glacé, châteaux de cartes, course de traîneau : les épreuves s’enchaînent sans ménagement dans un rythme effréné.
Tricherie, rétropédalage, non-assistance à personne en danger : Merry à tout prix ! Non, non, mauvais points pour elle !
Certificat SST pour Reine.
Pour Gabrielle, une avalanche de rochers glacés vanille/caramel 🤩🤩🤩❤❤❤