Titre : De chair et de papier
Auteure : Fabienne Berganz
ISBN : pdf : 978-2-37838-372-5 ; ePub : 978-2-37838-370-1 ; mobi : 978-2-37838-371-8
Date de Sortie : 30/07/2024
Nombre de Pages : 75 pages
Résumé :
Dans un manoir isolé de tout, Myriam vit avec sa mère et ses tantes, bercée par les contes des Mille et Une Nuits. Contraintes de quitter l’Angleterre après que l’opprobre a été jeté sur leur famille, les femmes du clan Farnell demeurent recluses. Néanmoins, dès que Myriam s’approche de la grille en fer forgé marquant l’entrée de la propriété, elle est saisie d’une envie de liberté.
Alors qu’elle se promène dans le parc, Myriam entend une branche craquer. Persuadée qu’une paire d’yeux l’épie derrière un buisson de houx, elle cherche l’inconnue qui disparaît en un battement de cils. Chaque jour, Myriam traque, scrute, guette, le retour de la mystérieuse jeune femme qui anime son morne quotidien…
Dans cette nouvelle empreinte de poésie, Fabienne Berganz nous conte l’histoire de Myriam, une jeune femme éprise de liberté en peine avec les tourments du passé familial.
Extrait :
La planche de la balançoire oscillait, fendue en son milieu. Myriam effleurait les échardes du bois brisé. La rosée patinait les cordes, les faisait luire d’un vernis souple. Qui avait bien pu casser la balançoire ? L’herbe avait été piétinée ; des mottes de terre s’étaient décollées. Les traces de pas s’arrêtaient devant le puits. Le vandale avait dû s’évanouir dans les entrailles de la terre.
Après tout, je m’en moque. De la balançoire, je n’en fais plus depuis longtemps.
Les roses formaient un arceau au-dessus du lierre cramponné au puits. Myriam n’aimait pas le lierre ; il étouffait les arbres que la jeune femme adorait. Parfois, elle leur parlait. Elle racontait ses malheurs au grand mimosa qui se parait de perles d’or, partageait ses joies avec le chêne centenaire, vidait son cœur auprès du sapin bleu.
Elle s’approcha du puits et lança un cri vers les profondeurs.
— Ohéééé !… hééé… hé…
L’écho n’était pas très puissant. C’était sûrement à cause du lierre ; il faudrait qu’elle dise à Vincent de s’en occuper.
L’été, Myriam pouvait arpenter le jardin à sa guise, fouler l’herbe tendre, humer le parfum des fleurs, grimper dans les bras ténébreux du cèdre, respirer les sucs épicés de sa résine. Elle pouvait courir aussi loin qu’elle le désirait.
Du moment qu’elle ne franchissait pas la grille.
La grille avait toujours été là, avec ses moulures en fer forgé et ses hallebardes qui éperonnaient les nuages. Parfois, la jeune femme s’imaginait en train d’escalader le grand cèdre et de voler de branche en branche jusqu’à l’entrelacs de métal. Elle avait vu les écureuils le faire, alors, pourquoi pas elle ? Elle se voyait virevolter dans les airs, le vent lui caressant les joues, puis voler par-dessus la muraille qui l’empêchait de sortir du jardin.
Elle fit un pas vers la grille et la considéra d’un œil plein d’appréhension. Le soleil du matin projetait sur elle son ombre dévorante. Myriam coinça la tête entre deux barres de métal, juste sous une volute au motif compliqué. Ses boucles noir corbeau dansèrent dans le vide, caressèrent ses épaules dénudées.
La route de graviers se prolongeait au-delà de la grille. La route avait bien le droit de sortir, elle. La jeune femme était tentée de lui demander quel effet cela faisait de pouvoir sortir d’ici, mais elle se ravisa. Si Tante Marylou la surprenait, elle se ferait sévèrement disputer. « On ne parle pas aux objets ! la gronderait-elle. Les objets n’ont pas d’âme ; ils ne discutent pas, ils ne pensent pas. Enfonce-toi bien ça dans le crâne, tête de linotte ! »
Et aujourd’hui, Myriam n’avait pas envie d’un sermon.
Le blé s’inclinait de part et d’autre de la route. Des oiseaux de belle taille venaient s’y nourrir, bravant des épouvantails qui tendaient vers eux leurs doigts de paille. À moi non plus, ils ne me font pas peur, songea Myriam. Elle aurait bien aimé être un de ces oiseaux, pour pouvoir affronter les têtes de citrouilles coiffées d’un chapeau gris. Des « étourneaux », comme les appelait Tante Sophia. La jeune femme aimait bien les étourneaux, mais elle préférait les hiboux. D’ailleurs, la nuit, le jardin n’avait pas le même aspect. Les arbustes se déguisaient en créatures de l’ombre, le genévrier se travestissait en troll bossu, l’églantier enserrait des lutins malicieux dans ses menottes épineuses.
Au-delà des champs de blé, il y avait la forêt, puis la route esquissait un virage… et ensuite, plus rien.
Juste la cime des arbres et le ciel pommelé de nuages citrins.
Soudain, deux tourterelles vinrent se poser sur la grille. Elles roucoulèrent de concert et prirent leur essor vers le petit bois. La jeune femme s’élança à leur poursuite.
Le petit bois poussait juste derrière la balançoire. Myriam s’y aventurait souvent, malgré les interdictions de Tante Marylou. Elle connaissait le bosquet comme sa poche ; chaque branche, chaque brindille. Un mûrier l’obligea à s’arrêter. Elle se gava de fruits juteux et sucrés. Ses lèvres pleines se colorèrent d’indigo. Un à un, Myriam lécha ses longs doigts fuselés, puis elle émit un petit rire moqueur. Peu importait qu’elle comparaisse devant Tante Marylou les mains et la langue violettes. Le jeu en valait vraiment la chandelle.
Le soleil coulait sur le chêne liège tel de l’or liquide. Myriam l’appelait « l’arbre au trésor » parce qu’un trou béait à la base de son tronc et qu’elle y avait dissimulé quelque chose de précieux. Un faisceau parsemé de myriades d’étoiles de poussière avait découvert la cachette. D’un blanc laiteux, la lumière semblait nourrir le chêne. Les feuilles crénelées aspiraient les rayons, gobaient la vie palpitante, la faisaient rouler dans leur sève. La jeune femme s’accroupit et plongea la main dans l’antre aux replis de pénombre. Un mille-pattes s’en échappa.
— Va-t’en de là, vilain ! le gourmanda Myriam.
Triomphante, elle extirpa du trou un coffret de bois vermoulu. Une rouille sanglante en dévorait la serrure. La jeune femme sortit une petite clé de fer de la poche de sa robe, la fit jouer dans la serrure et souleva le couvercle.
Le soleil illumina le trésor. L’hiver avait posé sa marque maléfique sur la surface du coffret. Tante Marylou ignorait que c’était Myriam qui l’avait dérobé. Elle avait puni la gouvernante, la pauvre… Brusquement prise de remords, Myriam se mordit la lèvre inférieure. Elle n’aimait pas que quelqu’un soit accusé à tort, mais Virginie était une godiche doublée d’une hypocrite. Elle l’avait dénoncée, un jour, alors que Myriam était sortie en douce au lieu de faire ses gammes.
Un furtif coup d’œil à gauche… à droite… Personne. Parfait. Soudain, une branche craqua. La jeune femme retient son souffle.
— Vincent ? appela-t-elle à mi-voix.
Ce n’était pas Vincent. Ce ne pouvait pas être Vincent : elle l’avait vu, ce matin, en train de tailler les rosiers grimpants qui bordaient la véranda. Les tonnelles étaient nombreuses ; le jardinier en aurait pour la matinée. Myriam se releva en douceur, pour ne pas effrayer les créatures des sous-bois. Sa fluide robe d’été lui caressa le genou. La jeune femme s’éloigna du chêne d’un pas prudent. De nouveau, le bruit singulier se fit entendre. Le souffle court, elle se dissimula derrière un acacia.
Une paire d’yeux l’épiait de derrière un buisson de houx. Une longue mèche blonde gorgée de soleil cisailla la futaie. Le temps d’un battement de cils, l’inconnue avait disparu.
Florence (client confirmé) –
Bien écrit et des descriptions très précises et poétiques, mais je reconnais mon manque d’enthousiasme pour l’histoire, quand à la toute fin, j’avoue rester sur ma faim et n’avoir pas compris
Marguerite Grimaud (client confirmé) –
Merveilleux texte! Une écriture charnelle, poétique qui va droit au cœur. Parfait huis-clos et personnages magnifiquement dépeints pour maintenir la tension dramatique… et surnaturelle. Chapeau!