Confrontations
Réveillée, Reine pivota vers son réveil igloo et constata qu’il était encore tôt. L’appareil n’allait pas sonner avant une grosse heure. Malheureusement, trop de pensées tournaient dans sa tête pour qu’elle puisse se rendormir, elle le savait : elle commençait à bien se connaître. Ces derniers temps, Reine se couchait parce qu’elle tombait d’épuisement, sauf que, depuis deux jours, c’était une autre histoire. Christy avait décidé de passer les 48 dernières heures sur les langues parlées à travers le monde. Si la première journée avait été harassante, la seconde s’était révélée profondément ennuyeuse. Pourquoi les travaux pratiques avaient-ils cessé ? Ça, c’était fantastique ! Ça, c’était ce qu’elle aimait !
Elle voulait devenir une mère Noël pour piloter un traîneau, pour se jeter dans des cheminées, pour se faufiler dans des habitations sur la pointe des pieds, pour dévorer biscuits et sucreries, pour déposer des paquets et pour offrir le plus beau des cadeaux aux enfants : l’écoute, l’attention. Seulement, là, elle se retrouvait à répéter dans des centaines de dialectes les mêmes incessantes questions. Non, non, non, ce n’était plus possible ! Il lui fallait retourner à l’essence du métier qu’elle convoitait.
Cependant, comment en parler à Christy ? Christy, qui était revenue encore plus fermée et blasée, la veille, pour la suite de la leçon. Reine n’avait pas osé lui demander si elle avait pu discuter avec Merry tant la Commandante lui avait paru hermétique. Fermée comme la dernière case du calendrier de l’Avent un 1er décembre. L’expression lui convenait à la perfection. Aucune digression n’avait été possible, ça avait été boulot, boulot, boulot. Toute la journée. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui ne tournait pas rond entre les deux sœurs ?
Obnubilée par toutes ces questions, Reine choisit de se lever et se dirigea vers la cuisine. Sur la table, un petit mot sibyllin l’attendait : « Je suis rentrée. Ne pars pas sans partager un petit-déjeuner avec ta mamounette. » La découverte arracha un sourire à Reine. C’était tellement bon de se sentir à ce point soutenue ! Elle réfléchissait à un moyen de confectionner un agréable repas quand du bruit se fit entendre en provenance de la chambre de ses parents. Sa mère en émergea bientôt et se précipita pour la serrer dans ses bras en déclarant :
— Ma chérie, tu m’as tant manqué !
— C’est toi qui es partie, maman, je te signale. Ton souci de colis coincé à la douane elfique est résolu ? C’était quoi ?
— Pfff ! rétorqua Carol. Tu ne me croirais jamais si je te racontais. L’administration dans toute sa splendeur. Tu échanges avec une personne, puis une autre, et encore une autre… Ça n’en finit jamais ! Mais assez parlé de moi. Dis-moi plutôt tout ce que j’ai raté !
Reine observa sa mère, qui lui avait tourné le dos pour se concentrer sur la préparation du café. Carol virevoltait dans la cuisine, égale à elle-même, tout en exubérance. Pourtant, Reine le sentait, quelque chose clochait, comme un lutin ayant perdu ses grelots. Quelque chose qu’elle n’arrivait pas à identifier. Incapable de mettre le doigt dessus, elle décida de partager son problème.
— Maman, je ne sais pas comment gérer l’animosité entre Christy et Merry. Plus le temps passe, plus ça empire.
— Ah… Je ne pense pas que tu devrais te mêler de cette histoire, ma chérie. Il y a trop de non-dits entre les filles Pradchett, trop de secrets… commença Carol, avant d’être interrompue par l’aspirante mère Noël.
— Le problème, c’est que je suis en plein milieu ! Et j’ai l’impression d’en rajouter.
— Comment ça ?
— Merry m’a balancé que je lui plaisais et m’a embrassée, soupira Reine, heureuse de pouvoir enfin partager avec une confidente ce qui avait eu lieu.
— Et ? relança sa mère en se retournant, l’œil pétillant de malice.
— Et rien.
— Comment ça, rien ? Tu lui as rendu son baiser ?
— Maman ! Ce n’est pas le sujet !
— Ah, ben si. Merry te plaît ?
— Je ne veux pas avoir cette conversation ! Je veux que tu m’expliques comment je peux aider Christy et Merry à se parler à nouveau et à faire une trêve de Noël version définitive.
— Pourquoi ? s’étonna Carol en commençant à préparer de la pâte à pancakes.
— Pourquoi quoi ?
— Cette discussion ne va nulle part, ma chérie. Pourquoi est-ce que la relation entre Christy et Merry te tient autant à cœur ?
— Parce que… Parce que… bégaya Reine avant de s’accouder au comptoir et de baisser la tête pour ne surtout pas croiser le regard de sa mère. Parce qu’elles agissent comme si elles avaient tout le temps du monde. Si j’avais su que papa… J’ai l’impression de ne pas avoir assez profité de lui. En plus, il n’est toujours pas venu me voir. Tu crois qu’il m’en veut de souhaiter prendre sa place ?
Le bruit du fouet dans le bol s’arrêta. Un silence naquit. Puis Reine se retrouva prisonnière des bras réconfortants de sa mère, qui s’était déplacée.
— Ton père est très fier de toi. Je le sais et je n’envisage pas que tu en doutes une seconde. D’accord ? Je suis certaine que, là où il est, peu importe où c’est, il se répète que tu es impressionnante et que tu feras une excellente mère Noël. Compris ?
— Il me manque, maman.
— À moi aussi, ma chérie. À moi aussi.
Un long silence s’étira entre elles et Carol finit par murmurer à l’oreille de sa fille :
— Je t’aime, ma chérie.
— Moi aussi, je t’aime, maman.
Lorsqu’elles se séparèrent, leurs yeux brillaient de larmes retenues. Carol, qui détestait par-dessus tout être émotive, choisit de changer de sujet. Le tout sans la moindre transition, comme on passerait de l’apéritif à la bûche.
— Alors, quelle épreuve t’attend aujourd’hui ?
— Je n’en ai aucune idée, mais je ne supporte plus de répéter « joyeux Noël » dans toutes les langues que Christy maîtrise.
— Et si, pour une fois, tu proposais une activité à ta Commandante ?
— Arrête, maman. Ce n’est pas ma Commandante, rétorqua Reine, heureuse de ne pas s’apitoyer davantage sur le manque de son père.
— Ce serait plus convaincant si tu ne rougissais pas en disant cela. Mais je note que c’est tout ce que tu retiens…
— Maman !
— Oui ! cria presque cette dernière en réponse à la réaction de sa fille. Ma chérie, tu as réussi à tenir tête au Conseil de Noël et tu te laisses complètement retourner par deux elfes ! Montre-leur de quel glaçage tu es faite !
Reine sursauta, mais les mots de sa mère résonnèrent longtemps en elle. Au-delà de leur petit-déjeuner partagé et de sa douche…
***
Lorsqu’elle arriva devant le bureau de Christy, Reine était déterminée. Sa mère avait raison. Elle avait le droit… Non, elle avait le devoir de choisir. Il lui fallait retrouver sa liberté de décider. Elle en avait marre de subir la situation. Toutes les situations, de ces épreuves à cette guerre entre les deux sœurs.
— Bonjour, Christy, lança-t-elle après avoir frappé à la porte. Est-ce que tu as prévu quelque chose pour moi aujourd’hui ?
— Évidemment ! Aujourd’hui, nous allons… commença la Commandante des lutins, assise derrière son bureau, son attention entièrement portée sur un carnet devant elle.
— Aujourd’hui, j’aimerais mettre en pratique ce que nous avons déjà appris. Promis, demain, nous suivrons ton plan, mais est-ce qu’aujourd’hui, on peut suivre le mien ?
Christy leva un visage intrigué vers son interlocutrice. Avant qu’elle ne puisse refuser, Reine reprit rapidement son souffle et poursuivit sur sa lancée.
— Je souhaiterais rencontrer les enfants des lutins et des elfes dans ma tenue de mère Noël, être photographiée avec eux, écouter leurs demandes, tenter d’y répondre. Affronter la réalité du terrain et ces questions pièges comme : « Tu peux ressusciter mon chien ? », « Tu peux empêcher le divorce de mes parents ? », « Tu peux envoyer mon petit frère dans une autre famille ? » Ce genre d’exigences qui nécessitent humour, adaptation et pédagogie.
— Ce n’est pas du tout ce que j’avais prévu… avança Christy, qui se retrouva soudain muette et perdue face au regard suppliant de Reine.
Quelque chose succomba en Christy. Tout le monde ne cessait de lui répéter qu’elle était trop dure, qu’elle manquait d’humanité, qu’elle allait dégoûter Reine de ce travail… Les voix créèrent un véritable brouhaha dans sa tête et elle capitula devant cette attitude enthousiaste teintée d’un soupçon de naïveté. Le temps se révélait une denrée rare, mais peut-être qu’il fallait effectivement revenir aux fondamentaux.
Elle avait presque cédé quand Reine la convainquit définitivement en ajoutant :
— Tu m’entraînes depuis des jours et je n’ai pas vu ni aidé un seul enfant, Christy. Juste aujourd’hui. Tu pourras les obliger à parler dans les langues que tu désires et leur dicter les pires répliques du monde. Celles que les pères Noël ont affrontées avant moi.
— Je ne crois pas que…
— J’en ai besoin, Christy. Je veux revenir à l’essence de ce travail, retrouver ce qui me fait rêver depuis toujours. Ça te paraît peut-être futile, mais c’est la meilleure des motivations en ce qui me concerne.
— D’accord, d’accord, d’accord ! opina Christy en levant les mains devant elle en signe de capitulation. Tu pourras remplacer Jörgen, ta doublure au marché de Noël. Juste quelques heures ce matin. Cet après-midi, j’ai prévu…
— Oui ! C’est fantastique ! Parfait ! Je vais passer voir Bobine, Aiguille et Pelote pour récupérer ma tenue ! Je te rejoins là-bas.
Extatique, Reine se pencha au-dessus du bureau, déposa un baiser sur la joue de la Commandante et repartit aussi vite qu’elle était arrivée.
La joue de Christy la picota là où les lèvres de la noëlfienne venaient de l’effleurer. Pour la première fois depuis des dizaines d’années, son cœur s’emballa. Il exécuta un looping digne d’une cascade du précédent père Noël, le meilleur pilote de traîneau qu’elle ait connu et qui lui avait permis de découvrir des sensations incroyables. Reine était parvenue à son niveau avec… un simple baiser sur sa joue. Et le pire, c’était que Christy était persuadée que l’aspirante mère Noël n’avait même pas eu conscience de son geste.
Dire qu’elle avait prévu de se tenir éloignée de Reine depuis sa discussion ratée avec Merry ! Pourquoi as-tu décidé d’écouter cette femme, aussi ? Tu n’aurais jamais dû essayer de parler à cœur ouvert avec ta jumelle. C’était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée de Reine, d’ailleurs. Parce que la conclusion était simple : Merry s’avérait horrible, point final. Elle allait gâcher Noël ! C’était une évidence ! Au demeurant, la proposition de Merry lui restait toujours en travers de la gorge. Comment a-t-elle osé ? M’obliger à convaincre Reine de tomber amoureuse d’elle pour sauver Noël ? Comment a-t-elle pu envisager un tel chantage ? Je te déteste, Merry ! Je te déteste !
***
Lorsque les enfants virent arriver Reine et Christy en tenue d’apparat, ils hurlèrent de joie. En même temps, on aurait pu les imaginer sorties d’un film d’action destiné à sauver Noël. Elles avaient juste remplacé les costumes de superhéroïnes par un costume rouge et blanc pour la première, et vert et rouge pour la seconde. Côte à côte, elles possédaient tout d’une équipe de choc. Un duo incomparable, indispensable comme le glaçage sur les biscuits de Noël.
Jörgen leva un sourcil surpris et amusé. Celui qui ressemblait de très loin au père de Reine céda sa place dans le large fauteuil en déposant une tape encourageante sur l’épaule de la noëlfienne. De son côté, Christy ne parvenait pas à détacher son regard du sourire éblouissant qu’arborait Reine depuis qu’elle l’avait rejointe à l’entrée du marché de Noël.
Si Christy s’était imaginé que Reine allait la traîner dans les allées à la découverte de toutes les petites boutiques éphémères, elle s’était lourdement trompée. Ce n’était pas à des vacances qu’aspirait Reine, non. Loin de là. Au contraire, dès leurs retrouvailles, cette dernière s’était précipitée en direction de l’espace où Jörgen tenait son poste.
Déterminée à calmer le brouhaha qui régnait et égalait le niveau sonore d’un renne en train d’éternuer, Christy prit la parole.
— Bonjour à toutes et à tous ! Vous avez certainement déjà croisé Reine, aspirante mère Noël, qui souhaite succéder à son père. Elle a décidé d’écouter certains d’entre vous et de commencer son travail. Comme nous ne savons pas encore si son pouvoir fonctionne, j’ai apporté le livre…
— Le livre ? répéta Reine tout bas pour être uniquement entendue de la Commandante des lutins.
— Oui, Reine, le livre des présents. Celui où sont recensés tous les cadeaux distribués depuis la naissance du premier père Noël jusqu’à aujourd’hui, pour chaque enfant, au fil des ans.
— Papa m’en a parlé, mais je ne l’ai jamais vu. Comment ça marche ? Je dois noter la demande directement dedans ?
— Non, tu ne noteras rien, je m’en occuperai. Normalement, la magie s’en charge. Le père Noël n’a pas assez de mémoire pour tout retenir et prévenir les doublons avec les lettres traitées par les lutins. Du coup, ce qui lui est confié s’inscrit automatiquement et, de son côté, l’équipe courrier retranscrit le contenu des listes. On évite ainsi les erreurs et on adapte l’ordre des priorités en temps réel.
Reine s’extasia devant l’organisation millimétrée. En même temps, depuis le début de sa formation, elle semblait tout apprécier. Chaque détail l’émerveillait ! D’ailleurs, Christy s’attendait à la suite, et elle avait raison, puisque Reine enchaîna :
— Tu as le livre avec toi ? Je peux le voir ?
Christy ne put retenir un sourire. Il était véritablement difficile de résister à cet enthousiasme. Plus le temps passait et plus Reine apparaissait lumineuse, à l’image des guirlandes de Noël dans la nuit. Au lieu de perdre son envie et son dynamisme, chaque jour semblait la conforter dans son choix de carrière.
Après avoir déposé au sol le sac qu’elle avait sur les épaules, Christy l’ouvrit et récupéra un livre qui ressemblait à un grimoire. La couverture, rouge et blanc, avec une gravure du visage du père Noël premier du nom au centre d’un médaillon, possédait un aspect duveteux. Pour un livre censé répertorier tous les enfants depuis le début, toutes les années et toutes leurs demandes, il ne se révélait pas particulièrement épais. Reine grimaça, légèrement désappointée. Elle s’était attendue à quelque chose de plus flamboyant, elle devait le reconnaître.
— Ne sois pas déçue. Tu vas le trouver exceptionnel, comme tous les autres avant toi. Reine Noël, énonça alors Christy au-dessus du grimoire.
Entraîné par la magie de Noël, ce dernier s’ouvrit et les pages se feuilletèrent d’elles-mêmes pour s’arrêter au centre. Reine découvrit son nom et, dessous, ses différents âges et ses exigences, des plus extravagantes – « un bateau pour les grands avec un pilote rien que pour moi qui m’emmènera partout » – aux plus mignonnes, avec un « vivre tout le temps au soleil avec papa et maman ». Et puis, au milieu, les listes de voitures, de déguisements et de jeux variés.
— Ça recense vraiment tout, même les demandes impossibles à satisfaire, intégra brusquement Reine en levant un regard ému vers Christy.
— Ça recense tout. Tout. Après, c’est à nous de gérer au mieux la désillusion des enfants, de leur expliquer en quoi le père Noël ne peut pas tout faire, tout résoudre.
L’aspirante mère Noël hocha la tête, vraisemblablement consciente des espérances surréalistes de certains enfants. Si une partie désirait des objets matériels, l’autre affichait des attentes qu’aucun père Noël ne pouvait satisfaire. La difficulté était de ne pas trop les décevoir et de se rapprocher le plus possible de leurs rêves. Le cœur de Reine se serra. L’image de l’enfant qu’elle avait été s’évanouit quand elle tourna le visage vers la file de petits lutins et de petits elfes qui patientaient fébrilement à l’idée de pouvoir la rejoindre pour partager avec elle leurs souhaits.
— Très bien, je suis prête, lâcha Reine. Allons-y. Ces enfants n’attendent que nous !
***
— Et donc, pour devenir astronaute, tu comprends, il me faut un télescope parce que je dois apprendre le nom de toutes les étoiles et de toutes les planètes.
— D’accord pour le télescope, confirma Reine, consciente que c’était une requête facile à traiter.
— Dis, mère Noël, tu penses que je pourrai devenir astronaute ?
La petite elfe de six ans se réinstalla sur les genoux de Reine, ses immenses yeux bleus la suppliant de lui donner une réponse positive. Depuis des heures, celle qui espérait par-dessus tout devenir mère Noël tentait de réagir au mieux à chaque demande. Malheureusement, dès qu’il était question de rêve qui allait au-delà de tous les faits établis, c’était plus compliqué. Alors, elle utilisa la technique éprouvée sur une cinquantaine d’enfants avant celle-ci.
— Hum, voyons. Peut-être que tu as déjà la réponse. Est-ce que des elfes ont déjà vécu parmi les humains ?
— Oui, plein !
— Est-ce que des elfes ont vécu parmi les humains et ont eu des métiers d’humains ?
— Oui ! s’enthousiasma Debbie avec son sourire où il manquait une dent de devant.
— Alors, je pense que, si tu t’en donnes les moyens, rien ne t’empêchera de devenir astronaute !
— Ouiiiiii ! Et toi, tu seras la mère Noël.
— Et moi, je serai la mère Noël. Donc, on met le télescope en priorité de ta liste. Christy, c’est noté ? Pour Debbie Vahalane ? questionna Reine en se tournant vers la Commandante, qui se tenait assise sur une chaise à ses côtés.
Christy hocha la tête de manière positive, inscrivit la demande de sa plus belle plume et ferma le grimoire. Debbie se jeta au cou de Reine et la serra très fort contre elle, gonflant de bonheur le cœur de la principale intéressée. Ça, c’était magique. Ça, c’était le métier qu’elle voulait faire pour le reste de ses jours. Reine n’aurait pas pu être plus heureuse qu’en cet instant.
Après ce câlin, Debbie descendit de son perchoir et se précipita vers ses parents, qui attendaient quelques mètres plus loin.
— J’ai comme l’impression que tu as insufflé une vague de féminisme parmi les lutines et les elfes. C’est la première fois qu’on a des demandes aussi…
— Exceptionnelles ? proposa Reine quand Christy s’interrompit, visiblement à la recherche de l’adjectif le plus adapté.
— Extravagantes !
— Tu trouves extravagante l’idée de vouloir devenir astronaute ? Qu’est-ce que tu penses de devenir mère Noël, alors ? s’étrangla la noëlfienne à sa droite.
Christy se tut, consciente que sa réponse risquait de déplaire à Reine. Cette dernière avait beau être compétente dans bien des domaines, ce rôle n’avait jusqu’à présent été tenu que par des hommes. Christy n’était pas certaine que le monde soit prêt pour un tel changement.
— J’aime beaucoup ta manière de gérer ces questions, intervint Jörgen, qui s’était, lui, installé derrière et qui profitait d’une pause plus agréable encore que n’importe quelle bûche au chocolat. D’ailleurs, j’ai noté que les gamins n’ont pas peur de toi. Même les tout petits. C’est comme si tu inspirais naturellement confiance. Au fait, tu m’autorises à te voler le check dans le vent pour les plus timides qui n’apprécient pas les contacts physiques ?
— Avec plaisir. Et merci, Jörgen, ajouta une Reine, légèrement blessée par le silence de la Commandante, incapable de lâcher celle-ci du regard.
L’absence de réponse à sa précédente question lui permettait d’intégrer que Christy ne la comprenait pas. Même si les entraînements les avaient rapprochées, l’elfe doutait toujours de la légitimité de Reine en tant que mère Noël.
— Il en reste encore combien ? osa Reine, épuisée.
— C’était la dernière. Il est plus de 19 heures, ta journée est terminée, et la mienne également. Je vous abandonne, mon épouse m’attend à la maison.
Jörgen ne laissa pas aux deux femmes le loisir de répliquer et s’éclipsa en quelques secondes, aussi rapide qu’un renne sous stéroïdes.
— Je ne parviens pas à croire que tu m’aies convaincue de passer la journée ici. On avait dit juste quelques heures… soupira Christy, tout de même consciente d’avoir vécu un excellent moment.
— Vous savez, cette compétition ne se gagne pas à la popularité, mais au mérite, se moqua Merry, qui venait d’arriver, bras croisés, et de s’installer face à sa concurrente.
— Bonsoir, Merry. Qu’est-ce que tu fais ici ? s’étonna Reine avec, malgré tout, un sourire avenant.
— J’ai appris votre manigance pour vous mettre lutins et elfes dans la poche. Sachez que ce ne sont pas eux qui voteront, mais les membres du Conseil…
— Ce n’est pas une manigance, souffla Reine, son attention glissant alternativement d’une sœur à l’autre.
Christy jeta un regard mauvais à sa jumelle. Le temps semblait à la bataille. Le désespoir s’empara de Reine. Il était hors de question d’assister à une guerre entre les deux sœurs alors qu’elle avait passé une si bonne journée. Si elle avait été capable de survivre en gérant des demandes si difficiles d’enfants à partir de quatre ans, elle pouvait mettre un terme à cette dispute.
— Je suis navrée, je ne suis pas d’accord.
Sur une impulsion, Reine vola le livre des présents des mains de Christy. Elle espéra que la magie de Noël serait avec elle, une nouvelle fois, et énonça devant l’objet :
— Christy Pradchett.
Après une seconde qui sembla durer une éternité pour les trois personnes, les pages du grimoire commencèrent à tourner lentement.
Comprenant ce qui était en train de se jouer, Christy paniqua. Elle poussa un cri et tenta de voler le livre des mains de Reine. Cependant, perspicace, cette dernière s’était attendue à cette attaque. Elle se retourna et lui montra son dos afin de déchiffrer la liste des demandes.
— Quatre ans : poupée, voiture. Ce n’est pas ce qu’on recherche. Cinq ans : renne pour Merry, poney pour moi. Là, ça devient plus intéressant, intervint Reine, qui avançait vers Merry pour se cacher derrière celle-ci et continuer sa lecture. Six ans : qu’on vive toujours ensemble avec Merry, un cheval pour Merry et un cheval pour moi. Sept ans : travailler avec Merry pour le père Noël. Huit ans : des jouets. Neuf ans, d’autres jouets. OK… Clairement, là, tu as compris que le père Noël ne pouvait pas satisfaire ce type de demandes…
Christy paraissait bouillir d’énervement. Les poings serrés, le regard noir, elle affrontait Merry, qui protégeait Reine de toute sa stature.
— Ça, c’était quand elle était petite, avant qu’elle ne devienne égoïste et me trahisse, enchaîna l’elfe, dont la chevelure rouge donnait l’impression d’être incandescente.
— Tu ne sais rien ! hurla Christy, le visage déformé par la fureur. Tais-toi !
— Qu’est-ce qu’il y a à savoir de plus ? Tu les as laissés décider, tu n’es pas intervenue, jamais… soupira celle qui, au-delà de la trahison, révélait une sorte d’impuissance désabusée.
— Mais tu as toujours été la plus intelligente de nous deux ! Tu devais trouver un moyen pour qu’on travaille ensemble ! Tu parlais de révolutionner le fonctionnement, de tout changer ! Pourquoi tu n’as pas fait ça ? J’ai attendu de tes nouvelles ! Tu avais dit que le père Noël et le père Fouettard pouvaient s’allier, tu avais promis…
— J’avais dix ans ! J’avais dix ans ! s’emporta Merry, perdant pour la première fois son calme. Tu crois que c’est facile de lancer une révolution quand la seule personne en qui tu as jamais cru te trahit ? Non ! Pourquoi j’aurais voulu te revoir ? Tu m’as trahie !
— Je sais ! Je sais… soupira Christy, dont la colère s’était dissoute dans la répétition de ces deux mots. Et je suis désolée. J’ai essayé de réparer ce que mon silence et ma peur ont entraîné, mais je n’ai jamais réussi. Et je ne me le pardonnerai jamais… avoua-t-elle, les prunelles brillantes de larmes contenues.
— Pourtant, tu es venue me voir en me demandant, à moi, de te pardonner. Tu m’imagines aussi stupide ?
— C’était une idée idiote. Reine a suggéré… Laisse tomber, lâcha Christy en se tournant pour essuyer ses yeux humides et ne surtout pas montrer à quel point elle était vulnérable.
— Je ne te pardonnerai jamais ! cracha Merry, dont le visage avait pris une teinte aussi rouge que sa chevelure.
— Je sais. Moi non plus, je ne me pardonnerai jamais, de toute manière. Et si tu veux sortir avec Reine, vas-y. Fais ce que tu veux…
— Non ! Je vais gagner contre toi, comme j’ai gagné le cœur de Samara à l’époque. Pour que tu souffres autant que j’ai souffert. Et…
— Et quoi ? s’interposa Reine, qui venait de se placer entre les deux sœurs et prenait la parole pour la première fois depuis un long moment. Tu vas le lui faire payer durant cinquante ans ? Cent ans ? Deux cents ans ? Et puis quoi ? Vous mourrez en continuant à vous détester ? Et on écrira sur vos deux tombes : « Un jour, Christy a commis une erreur, et Merry a réussi à le lui faire payer toute sa vie. » C’est ça, ton idée ?
— Bien sûr ! Je…
— Tu rien du tout. Tu ne sais pas qui je suis, Merry. Tu me veux uniquement parce que ça énerverait ta sœur et parce que je te résiste. Je ne suis pas née de la dernière fournée de sablés.
— Je… tenta à nouveau Merry avant d’être encore une fois interrompue par Reine.
— Non, stop. Je m’en moque. Par contre, c’était quoi, cette idée de travailler ensemble ? De réunir le père Noël et le père Fouettard dans un même but commun ?
— Une idée aberrante que j’ai eue à dix ans ! Du n’importe quoi !
Bras croisés, Merry n’en démordait pas. Elle campait sur ses positions comme un renne qui refuse d’avancer avant d’avoir eu droit à une friandise. Christy soupira.
— C’était la meilleure idée au monde ! Mais tu as raison, ça n’aurait jamais pu marcher. Il aurait fallu que tu croies en moi comme, moi, je crois en toi, et ça n’arrivera plus jamais. Bonne soirée à toutes les deux.
Après avoir lâché ces derniers mots, Christy s’éloigna dans la neige, la tête basse, le pas lourd. Cette nouvelle confrontation avec sa jumelle donnait l’impression de l’avoir vidée de ses forces. En la regardant partir, Reine comprit pourquoi la Commandante des lutins était aussi dure et intransigeante. Elle ne se pardonnait pas cette erreur qu’elle avait commise plus jeune et, depuis, elle tentait par tous les moyens d’avoir l’air parfaite afin de se rattraper. Mais on n’effaçait pas une faute de cette manière. Parce que la perfection n’existait pas et parce qu’il fallait avant tout apprendre à admettre que se tromper et tomber faisait partie de la vie. Christy n’était pas prête à accepter le pardon de sa sœur, et encore moins à s’absoudre elle-même.
Reine songeait que rien ne changerait jamais quand Merry la tira de ses pensées :
— Et si on passait aux choses sérieuses maintenant et qu’on s’offrait un corps à corps torride, toi et moi ?
— Même pas en rêve. Tu n’es pas mon genre, souffla Reine, soudain épuisée.
— Oh ! Et quel est ton genre ? se moqua Merry avec son sourire le plus séducteur.
— Une personne capable de se montrer vulnérable et de reconnaître ses torts pour avancer. Bonne soirée, Merry. J’espère que ton désir de vengeance et ta colère te tiendront bien chaud cette nuit.
Le livre des présents refermé et en sécurité sous son bras, Reine s’éloigna en direction du chalet qu’elle partageait avec sa mère. Finalement, Carol avait eu raison sur toute la ligne. Elle n’aurait jamais dû se mêler de cette histoire. Jamais. La bonne nouvelle, c’était qu’elle l’avait enfin compris, et qu’elle pouvait maintenant passer à autre chose et se concentrer sur son objectif. Elle deviendrait mère Noël. C’était tout ce qui comptait dorénavant.
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Crêpage de chignons sans concessions. 1 penalty partout , la balle au centre. Tentative de séduction de l’arbitre : non Merry, on n’attrape pas une Reine de manière si triviale !
Pour Marie, grand prix de la réplique 🤩🤩🤩❤❤❤